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Patrick McGovern : L’Indiana Jones des boissons anciennes

Direction Philadelphie pour nous faufiler à l’intérieur du Penn Museum entre deux grilled cheese (miam !), pour atteindre le Biomolecular Archaeology Laboratory. C’est dans ce laboratoire qu’a exercé durant des années le Dr Patrick McGovern, archéologue spécialisé dans les boissons anciennes. Je ne parle pas ici d’un historien ou auteur passionné, je parle bel et bien d’un scientifique, capable d’interroger des tessons d’amphore étrusque à l’aide de la chimie moderne pour révéler quel liquide ancestral elle contenait quand cette amphore était encore intacte.

Le Dr McGovern avait plusieurs surnoms, l’Indiana Jones de l’alcool, l’archéologue de la bière, ou encore le Lazare des libations. Son but était de récupérer les matières organiques anciennes pour comprendre ce qu’elles signifiaient pour nos ancêtres. En d’autres termes, ce scientifique chevronné a consacré sa carrière à comprendre la relation de l’humanité avec l’alcool, le voyant comme l’un des principaux moteurs de la civilisation. C’est à travers cet article et suite à son décès survenu en août 2025 à l’âge de 80 ans, que j’ai eu envie de rendre hommage à cet archéologue, méconnu du grand public mais qui a publié bon nombre d’articles et ouvrages aujourd’hui essentiels pour comprendre l’univers des boissons alcoolisées du passé.

 

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Source : Gemini

 

Forger une nouvelle science

McGovern n’a pas commencé par l’archéologie ; avant cela, il était dans ce qu’on appelle les sciences pures. C’est à l’Université de Cornell, bien connue des amateurs de The Office, que Patrick obtient une licence en chimie suivie de travaux de troisième cycle en neurochimie. Ce n’est que quelque temps après qu’il a basculé sur les sciences humaines en obtenant un doctorat en archéologie et littérature du Proche-Orient à l’Université de Pennsylvanie.

Grâce à cette double expérience, à la fois sciences pures et sciences humaines, il a pu établir un pont entre des disciplines rarement associées. Le fait que celui-ci pense en même temps comme un chimiste et comme un archéologue lui a permis de poser des problématiques inédites et ainsi développer des méthodes innovantes.

Situé au Penn Museum, le Biomolecular Archaeology Laboratory for Cuisine, Fermented Beverages and Health est devenu l’épicentre de l’archéologie biomoléculaire. Pour faire simple, McGovern savait très bien que l’alcool s’évapore, déjà au bout de quelques mois, et encore plus quand on parle de millénaires. Il a donc décidé de s’attarder non pas sur le corps de la boisson mais sur ses “empreintes digitales” !

C’est ainsi qu’il a mis en place des tests pour des biomarqueurs spécifiques qui persistent dans les pores de la poterie. Par exemple, pour le vin, on va retrouver de l’acide tartrique issu du raisin eurasien, et pour la bière, ce sera l’oxalate de calcium, un sous-produit amer du brassage de l’orge que l’on surnomme “pierre de bière”.

C’est donc cette méthodologie qui a transformé l’archéologie sur ce sujet précis : au lieu de déduire l’usage d’un récipient de sa forme ou son emplacement, on peut désormais identifier scientifiquement son contenu. En d’autres termes, sa méthode ressuscite ni plus ni moins les breuvages dans leurs contenants.

Pour l’anecdote, ses premiers travaux portaient non pas sur les boissons mais sur la teinture, plus précisément la pourpre de Tyr. Ce n’est qu’après ces travaux et leur validation qu’il a pu poser les bases qui serviront ultérieurement à ses recherches sur les boissons fermentées.

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Credit : Alison Dunlap

 

Le Horatio Caine des poteries anciennes

Les découvertes de McGovern furent nombreuses. On peut citer son célèbre “Grog néolithique de Jiahu”, en Chine, qui fut pendant longtemps considéré comme la plus ancienne boisson alcoolisée au monde confirmée (-7000 ans avant notre ère) mais qui est depuis supplantée par les découvertes de Raqefet (-11000 ans avant notre ère). Le premier vin de raisin géorgien qui a repoussé l’origine de la vinification de près d’un millénaire, la boisson funéraire de Midas qui a inspiré la célèbre Midas Touch, ou encore le vin médicinal du Pharaon.

Si l’on s’attarde sur sa découverte à Jiahu, c’est dans la célèbre vallée du Fleuve Jaune qu’en analysant des tessons de poterie, McGovern et son équipe ont révélé une boisson mélangée à base de riz, de miel et de fruits, estimée à 9 000 ans. Une découverte qui avait mis KO les Sumériens, avant de se faire voler la vedette par les découvertes de Raqefet en Israël qui remontent à 13 000 ans. Concernant Raqefet, nous y reviendrons dans un article ultérieur, mais la découverte fut celle de restes de traces d’amidon et de phytolithes (micro-restes végétaux) dans des mortiers de pierre qui ont confirmé une forme primitive de brassage de bière, probablement à des fins rituelles ou funéraires.

Enfin, parlons plus en détail de ses recherches concernant la tombe du roi Midas, à Gordion, en Turquie, où il trouva des résidus d’un produit hybride complexe : un mélange de vin de raisin, de bière d’orge et d’hydromel. Un mélange étonnant supposé avoir des vertus aussi bien gustatives que probablement médicinales.

 

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Source : Dogfish Head

 

Patrick McGovern collabore avec Dogfish Head

En 1999, McGovern gagne en notoriété quand la célèbre brasserie Dogfish Head crée une collaboration avec le célèbre scientifique. Sam Calagione, le brasseur, voulait créer des bières décalées, et c’est grâce à de l’archéologie expérimentale qu’il parviendra à relever son défi.

C’est ainsi que sont nées les “Ancient Ales” de chez Dogfish Head dont voici les créations :

  • Midas Touch : La première et la plus célèbre collaboration. Basée sur l’analyse du tumulus de Midas, elle est brassée avec du miel, des raisins muscat blancs et du safran. Elle est devenue la bière la plus primée de Dogfish Head.
  • Château Jiahu : Inspirée de la recette chinoise de 9 000 ans, elle utilise des fruits d’aubépine, du riz à saké, de l’orge et du miel.
  • Theobroma : Basée sur les preuves de la plus ancienne boisson à base de cacao du Honduras (env. 1150 av. notre ère), cette bière contient du miel, des piments ancho, du rocou et de la poudre de cacao.
  • Kvasir : La recréation du grog nordique de 3 500 ans, utilisant des ingrédients comme le blé, les airelles, les canneberges, le myrte des marais, l’achillée millefeuille, le miel et le sirop de bouleau.

Cette collaboration fut une aubaine pour McGovern qui put ainsi mettre en valeur, auprès du grand public, ses travaux et les rendre populaires. Du côté de la brasserie, cela lui a permis de prouver qu’elle pouvait faire des brassins décalés et montrer son côté avant-gardiste, tout en invitant les futures générations de brasseurs et brasseuses à casser les codes du brassage classique.

 

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Source : All about beers / Sam Calagione

 

L’alcool a-t-il bâti notre monde ?

Homo Imbibens : “Je bois, donc je suis”, c’est la grande thèse de McGovern que l’on retrouve dans ses deux célèbres ouvrages Ancient Wine et Uncorking the Past (malheureusement non traduits en France), le fait que les boissons dites psychoactives soient fondamentales pour la condition humaine.

Selon lui, la fameuse Révolution néolithique, celle où l’humain s’est sédentarisé et a commencé à cultiver, a été motivée par le désir de cultiver des céréales pour le brassage plus que pour la boulangerie.

Selon ses travaux, il place la bière avant le pain. Selon lui, la fameuse Révolution néolithique, celle où l’humain s’est sédentarisé et a commencé à cultiver, a été motivée par le désir de cultiver des céréales pour le brassage plus que pour la boulangerie. Une thèse qui remet profondément en question certaines interprétations historiques.

Selon lui, les boissons fermentées ont été la base du développement des structures sociétales clés, à savoir :

  • Religion : Le processus de fermentation, avec son bouillonnement mystérieux et ses effets psychotropes, était perçu comme une connexion avec le divin, « une force extérieure communiquant à travers cette boisson ».
  • Médecine : Comme le montre le cas du roi Scorpion Ier, l’alcool fut le premier grand produit pharmaceutique au monde, utilisé pour extraire et administrer les propriétés curatives des plantes.
  • Cohésion sociale : Les boissons étaient au cœur des festins, des rituels et des liens sociaux, agissant comme des « lubrifiants sociaux » depuis les tout débuts.
  • Économie : La production et le commerce du vin, comme on le voit dans l’Égypte pharaonique, sont devenus un moteur économique majeur.

 

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Un dernier toast et puis s’en va

Patrick McGovern nous a quittés le 24 août 2025 dernier à l’âge de 80 ans, laissant un immense héritage. Il a été le pilier d’un tout nouveau domaine scientifique interdisciplinaire. Et si vous aimez les anecdotes, sachez qu’en 2011, il fut interrogé sur ce qu’il voudrait avoir sur sa tombe et celui-ci a dit qu’il voulait un Riesling de la Moselle de 1971, un millésime célèbre dont lui et sa femme avaient participé à la récolte.

Alors bien sûr, McGovern est une figure qui se doit d’être connue par celles et ceux qui veulent voir la bière comme autre chose qu’une simple boisson. Toutefois, sa thèse de la révolution néolithique reste encore discutée et soumise à de nombreux débats. Moi-même, je trouve que l’idée que la sédentarisation de l’homme soit liée à l’envie de boire un coup (pour la faire brève) reste quelque chose d’amusant, mais la science, c’est des théories, des hypothèses, et d’éternelles remises en question.

La preuve en est, sa découverte à Jiahu a été remise en question par celle de Raqefet, mais c’est aussi en cela que la science est importante : chaque découverte pose les bases potentielles d’une autre. Et même si l’on peut ne pas être d’accord avec la thèse de McGovern, force est de constater qu’elle ouvre le débat et met en lumière un fait indéniable : l’alcool a fait partie des éléments qui ont structuré les sociétés humaines, et encore aujourd’hui… Comme quoi l’alcool, même s’il doit absolument être consommé avec modération, garde une importance indéniable (après tout, la prohibition n’a jamais vraiment marché !).

J’espère que cet article aura eu le mérite de vous ouvrir la voie à de nouvelles découvertes allant au-delà de la simple dégustation, et si vous êtes anglophones, je vous invite à vous procurer et lire les deux ouvrages cités plus haut (visibles aussi dans ma bibliographie).

 

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Source : Gemini

 

Sources 

 

Greg
Marseillais amateur de bières, je vais vous faire découvrir cette boisson à travers son histoire, des dossiers, de l'actu et enfin des tests de bières diverses et variées!

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