Après la controverse, où en est Brewdog ?

Il y a quelques temps, j’avais publié un article sur Brewdog qui avait explosé les statistiques du site. Cet article relatait pourtant simplement les faits concernant les déboires de la brasserie écossaise face à des accusations diverses et variées de la part de nombreux employés. Des accusations qui ont abouti à un reportage de la BBC Scotland (non diffusé en France) que j’avais pu visionner et dont j’avais fait un résumé.

Pour ceux du fond qui découvrent la bière, Brewdog a longtemps été considéré comme un acteur majeur de la révolution craft européenne. Fondée par James Watt et Martin Dickie, les deux amis ont su créer un empire chiffré en milliards à ce jour, grâce à des actions marketing coup de poing relativement bien pensées à l’époque. Je ne vous referai pas ici l’historique, ceci ayant déjà été fait en détail dans le précédent article que je vous invite à lire. Cette fois-ci, j’ai voulu me pencher une nouvelle fois, et de manière factuelle, sur les nouvelles casseroles de la marque écossaise et les actions menées par la brasserie après les faits qui lui ont été reprochés. Cet article sera donc sourcé et ne reprendra que les faits parus dans la presse récemment. Il ne s’agit pas ici d’un article volontairement à charge, mais d’un état des lieux sur la brasserie et son état actuel.

Et comme je sais que des gens de chez Brewdog liront probablement cet article, je tiens à être franc : je ne relaterai que des faits et tout sera sourcé !

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Léger rappel : Punks with Purpose

Avant d’entamer le gros du sujet, il est important de recontextualiser brièvement la situation. Le 9 juin 2021, un groupe d’anciens employés se nommant “Punks with Purpose” publie une lettre ouverte sur les réseaux sociaux, à charge contre la brasserie et son leader : James Watt. Signée par 61 personnes au départ, le nombre de signataires dépassera rapidement les 300 et, peu à peu, les conséquences se font sentir pour Brewdog.

Le groupe accuse l’entreprise d’avoir mis en place un environnement hostile et une culture de la peur ayant engendré de nombreux départs et troubles psychologiques chez de nombreux ex-employés de la firme écossaise. Qu’il s’agisse d’allusions négatives, d’humiliation ou de rythmes de travail trop intenses, les témoignages n’ont pas manqué et peu à peu la crise a dépassé les frontières du simple milieu craft pour arriver aux oreilles du grand public et de la presse nationale.

Le documentaire accablant dont je fais état dans le précédent article achève de clouer les dernières planches du cercueil dans lequel les ex-employés furieux veulent placer la brasserie et surtout son leader : James Watt.

Cela va sans dire, dans le duo, Watt est le moins discret des deux. Bien au contraire, il aime la lumière et s’y plonger la tête la première. Les accusations font état de cas de comportements déplacés auprès d’employées, qui auraient par la suite créé des tensions au sein des équipes. Une personnalité narcissique, dont le succès semble être monté à la tête, qui s’est créé un véritable culte de la personnalité, dixit les accusations publiées.

En retour, Watt, en bon “capitaine”, a d’abord adopté une posture d’excuses, qualifiant la lettre de « dérangeante mais importante » et s’est engagé à écouter, apprendre et agir, tout en admettant avoir trop souvent négligé les éléments humains de son entreprise. Une réponse classique dans ce genre de situation, mais rapidement contredite par des justifications qui ont tôt fait d’effacer la posture adoptée au départ. Le co-fondateur de la marque, à travers plusieurs interviews, minimise les critiques et affirme que certaines allégations sont exagérées voire non fondées, tout en argumentant sur le fait que faire partie d’une structure qui évolue aussi vite n’est sans doute pas fait pour tout le monde… De quoi alimenter la rancœur des ex-employés qui y voient une énième preuve de mépris à l’égard de l’humain au sein de sa structure.

Watt ne s’en tiendra pas qu’à de simples justifications teintées de provocation. Loin de là, celui-ci va accuser ses détracteurs de chantage criminel et d’avoir organisé une campagne de harcèlement coordonnée à son égard, se positionnant ainsi en victime auprès de celles et ceux qui continuent de l’apprécier. L’Écossais ira jusqu’à engager des enquêteurs privés et porter plainte auprès de l’Ofcom (équivalent de l’ARCOM) contre la BBC. Des plaintes rejetées en intégralité début 2024, la cour estimant que le travail journalistique de la BBC était correct et sans bavure.

Cette recontextualisation permet ainsi de remettre en exergue le fait que cette fameuse culture de la peur n’est pas un accident de parcours, mais fait partie de la stratégie de base pour créer une croissance rapide avec des campagnes marketing agressives et controversées. James Watt a été trop intense dans ses exigences, trop impatient et pas assez méthodique selon ses détracteurs, un environnement d’entreprise devenu nocif pour beaucoup, qui a entaché l’image de l’entreprise.

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Le fossé entre l’image de marque et la réalité

Cette crise a su mettre en lumière une dissonance béante entre l’image publique de la marque, qui se prétendait “meilleur employeur du monde”, et la réalité vécue par une partie du personnel. Si durant longtemps on a vu Brewdog comme un environnement punk, rebelle et marginal, il apparaît en fait que c’était un environnement rapidement devenu toxique et anxiogène.

L’histoire de Brewdog a fait des émules. Il faut dire que la brasserie est l’une des brasseries “craft” les plus connues, mais ces histoires s’inscrivent dans un mouvement plus large de prise de conscience des soucis de culture de travail qui gangrènent l’industrie de la bière artisanale.

Souvent idéalisé, vu comme un secteur cool et sans prise de tête, il reste toujours ancré dans une forme de “boys club” sexiste, à coups de culture de « vieux garçons à la papa » comme on dit. Certes, il y a eu des améliorations, mais sous couvert de “métier passion”, beaucoup se sont perdus et ont parfois franchi les limites avec leurs équipes. Si l’affaire Brewdog a suscité toute cette médiatisation et cette “prise de conscience” générale, il ne faut pas oublier que Brienne Allan avait déjà, peu de temps avant, créé à elle seule un véritable mouvement qui avait eu un effet de raz-de-marée dans le secteur brassicole américain et, déjà, Brewdog était cité au même titre que ses établissements américains.

Ce qui est relativement ironique dans l’histoire, concernant Brewdog, c’est que sa stratégie de communication “honnête” et “transparente” s’est retournée contre elle, ses détracteurs ayant utilisé les mêmes codes pour se faire entendre. Les démentis ont eu moins d’impact que les accusations, et cela a eu des conséquences directes sur la brasserie écossaise.

Ce qui est relativement ironique dans l’histoire, concernant Brewdog, c’est que sa stratégie de communication “honnête” et “transparente” s’est retournée contre elle, ses détracteurs ayant utilisé les mêmes codes pour se faire entendre

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Des controverses en série aux conséquences multiples

Le mouvement “Punks with Purpose” n’a pas fait que dénoncer des faits inhérents aux conditions de travail, il a aussi étayé des faits inhérents aux différentes campagnes marketing de la structure. Ces controverses ont été décrites dans l’article précédent, retranscrivant notamment le reportage de la BBC, mais on peut citer la Pink IPA, les canettes en or massif, la Coupe du monde au Qatar ou encore l’affaire Lone Wolf.

Ces différents épisodes ont mis à mal la réputation et surtout la stratégie marketing de Brewdog, mais la firme n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. En janvier 2024, celle-ci décide de cesser son adhésion au “Real Living Wage” (un salaire horaire calculé indépendamment pour couvrir le coût de la vie réelle). Exit donc l’image d’employeur progressiste, place au capitalisme pur et dur… On est loin de l’image punk proclamée au début de l’histoire.

Forcément, l’impact sur les employés fut énorme, et ceux-ci ont tôt fait de chercher ailleurs, ne pouvant plus se permettre de vivre et travailler dans des villes telles que Londres avec un coût de la vie atrocement élevé pour quelqu’un qui vit au salaire minimum.

C’est donc par ce coup de grâce que la marque punk a érodé son image pourtant savamment travaillée depuis des années. Mais alors, pourquoi un tel gâchis ? Péché d’orgueil de la direction ? Stratégie trop ambitieuse ?

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La croissance avant tout

Sans doute y a-t-il un mélange d’orgueil, incarné par un James Watt galvanisé par la réussite de son entreprise, et une politique de croissance très agressive qui en a sans doute trop fait, alors que le marché lui-même se redessine constamment depuis des années en évoluant à vitesse grand V.

Entre 2019 et 2024, les Écossais et leur chien ont établi une politique de croissance à tout prix, au détriment de la rentabilité elle-même, jugée avec le recul comme étant trop fragile avec des pertes en progression.

En 2019, Brewdog enregistre un dernier bénéfice avant impôt de 1,1 million de livres sterling, puis c’est la dégringolade avant une année 2024 bénéficiant d’un retour à la rentabilité. Certes, le COVID est passé par là aussi, mais les fondations étaient déjà érodées et il a fallu sortir de cette volatilité à grands coups de réduction de coûts.

Le premier élément clé de cette réduction fut ce qui a été nommé “Opération Slingshot”, une étape de restructuration importante de la filiale américaine de la marque. L’usine de production de Columbus, dans l’Ohio, ne fonctionnait qu’à seulement 30 % de sa capacité. Fort de cela, la brasserie a décidé de réduire sa présence commerciale à 14 États contre 33 précédemment, tout en se concentrant sur le brassage à façon, qui a fait un bond colossal de 544 % et permis de dégager un bénéfice d’exploitation.

Malheureusement, si Columbus a su redresser la barre, d’autres ont eu moins de chance. Six bars ont été fermés du jour au lendemain, dont deux en France (Paris et Nice), suscitant l’émoi chez les salariés mis sur le carreau en un rien de temps. Et cela n’a pas empêché la marque de se reprendre une nouvelle controverse après ces fermetures et la sortie du “Real Living Wage”.

Le journal “The Scotsman” a en effet révélé dans un article que près d’un quart des parts de Brewdog étaient détenues par le fonds de capital-investissement américain TSG Consumer Partners via deux entités basées aux îles Caïmans, un paradis fiscal bien connu. Pire encore, le journal révèle que les parts bénéficient d’une clause de “préférence de liquidation”, ce qui garantit au fonds américain d’être remboursé en priorité sur tout le monde en cas de faillite, soit largement avant les petits actionnaires du programme “Equity for Punks”. Une injustice qui ne passe pas pour de nombreux adeptes de la marque.

En conséquence de tout cela, l’entrée en bourse de Brewdog a été reportée jusqu’à nouvel ordre. En effet, se lancer maintenant serait tout bonnement suicidaire, mais la marque ne semble pas avoir dit son dernier mot.

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Brewdog revoit entièrement sa copie

Martin Dickie, co-fondateur de la brasserie, a été le grand absent de ces controverses. Souvent mis à l’écart, bien qu’accusé lui aussi, le brasseur a su rester discret, trop discret peut-être, car son silence a été perçu comme le cautionnement des soucis internes de la brasserie.

Dickie a su toutefois se préserver quelque peu et il décidera de s’éloigner peu à peu de la brasserie. Il crée en 2024 son entreprise “Waterside Pharmaceuticals”, une startup produisant du cannabis à usage commercial. Un an avant, en mai 2023, il prend la tête en tant que PDG de la branche spiritueux de Brewdog, un segment moins mouvementé que la bière. Dickie se construit ainsi une nouvelle identité d’entrepreneur, cherchant une sorte de retraite stratégique lui permettant de quitter le champ de bataille médiatique… Martin Dickie se crée donc un nouveau “storytelling”.

En mai 2024, James Watt, quant à lui, quitte ses fonctions de PDG après 17 ans à la barre de son fameux navire. Il reste encore actif en tant que membre non exécutif du conseil d’administration. Une décision motivée, selon lui, par son désir de consacrer plus de temps à sa famille et à d’autres projets plus personnels.

James Arrow, ex-directeur des opérations arrivé en septembre 2023, lui succède à la tête de Brewdog. Cependant, son mandat est de courte durée, puisqu’il démissionne en mars 2025 pour raisons personnelles. Lui succède alors James Taylor, initialement directeur financier du groupe écossais.

En nommant un financier, Brewdog souhaite envoyer un message : la priorité absolue sera désormais la stabilité financière. On est loin du bon gros marketing un peu foufou de l’époque.

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Rebranding de Brewdog : coup de peinture rapide ou vraie maturité ?

Coïncidant avec les récents changements de direction, Brewdog a dévoilé en 2025 un relooking complet de sa “core range”. Un design voulu plus propre, plus mature, moins agressif que par le passé. En gros, Brewdog entre dans une nouvelle ère.

Ce rebranding, et nous aborderons le sujet en détail dans un prochain article consacré à cette stratégie, est bien plus qu’une mise à jour esthétique. Derrière chaque rebranding, il y a une raison qui va au-delà d’un coup de pinceau ; un bon rebranding doit être cohérent et répondre à une problématique. Ici, la firme souhaite faire table rase du passé. Dickie et Watt étant sortis de la direction, il est temps de montrer que l’entreprise a su changer ce qui n’allait pas en interne à travers une image plus sobre et mature, pour accomplir une sorte d’acte de “pénitence visuelle”.

Au niveau de la réception, ce rebranding a eu un accueil très mitigé. Beaucoup, échaudés par les scandales, veulent juger la marque sur ses actions et non sur ses nouveaux visuels. Preuve que Brewdog a encore du chemin à parcourir pour retrouver une image correcte auprès de son public.

Fresh Group Hero Desktop v3 — Source : Brewdog

En conclusion

Cet article se veut donc avant tout factuel, et il va me permettre de parler aussi de tout ce qui est santé mentale et physique dans le milieu brassicole, pour faire écho à l’excellent article d’Anaïs Lecoq pour Mediapart. L’idée ici est de donner une suite à l’article précédent, tout en expliquant le contexte et la nouvelle stratégie appliquée. Nul doute que Brewdog n’est pas mort. Cependant, entre une image écornée par ses fondateurs dont les casseroles les ont irrémédiablement rattrapés, une stratégie de croissance trop agressive qui a montré ses limites et, enfin, un environnement économique très volatile, la firme écossaise va devoir relever un sacré paquet de défis si elle veut persister dans ses ambitions et garder sa rentabilité.

Point positif, la nouvelle image mise en place n’en est qu’à ses débuts. Si la firme parvient à faire en sorte que ses actes soient vus positivement et qu’un véritable changement est mis en place, alors Brewdog aura réussi sa rédemption.

Après, il faut être réaliste : les scandales de la firme ont entaché la marque dans son pays natal auprès du grand public grâce ou à cause de la BBC. Ailleurs, cela a surtout eu un impact dans le milieu brassicole mais pas vraiment auprès du grand public. Autrement dit, comme pour tous les scandales, l’impact sur les ventes ne sera pas spectaculaire, et nul doute que la marque saura réussir son come-back, bien que sa nouvelle image suggère une approche moins tape-à-l’œil et provocatrice qu’à ses débuts.

À voir surtout, au-delà des controverses, si la nouvelle stratégie permettra à Brewdog de rester compétitif et bénéficiaire sur un secteur d’activité de plus en plus agressif.

Réponse dans quelques mois ?

NB : Cet article a été rédigé entièrement par mes soins. Les images quant à elles ont été générées via Gemini pour des questions de droit et les recherches ont été effectuées grâce à un mélange de recherches personnelles et d’IA pour faciliter la recherche de sources. Toutes ces sources utilisées, lues et vérifiées se trouvent ci-dessous.