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Connaissez-vous le putsch de la brasserie?

On va parler d’histoire aujourd’hui, pour vous raconter le destin funeste d’une brasserie bavaroise, la brasserie Burgerbraukeller. Pourquoi funeste? Et bien parce que celle-ci a été le théâtre d’un événement historique qui a amené à des conséquences catastrophiques pour les années qui suivirent. 

 

Tout d’abord, quelle est cette brasserie?

Burgerbraukeller est une brasserie née en 1885 à Munich qui a connu un succès croissant dès sa création. En effet, les brasseurs Munichois ont très vite compris que les clients aimaient boire sur place, en quelque sorte le business des brewpubs était en train de dévoiler tout son potentiel. Pour cette brasserie ce fut une très bonne décision, de par sa taille, elle fut capable donc d’accueillir plus de 3 000 personnes en son sein, sous une grande tente similaire à celles que l’on trouve lors du traditionnel Oktoberfest

La taille de cette brasserie, mais aussi ses concurrentes, en faisait le lieu idéal pour des rassemblements par le biais de diverses privatisations. C’est un peu le cas aujourd’hui pour des séminaires ou événements professionnels qui privatisent divers lieux de temps en temps. 

La brasserie en question (source : www.georgelser.info)

Montée en puissance d’un sombre personnage

Nous sommes en 1921 et dans les brasseries locales, un homme s’agite depuis des semaines inlassablement, perpétuant des discours politiques relativement extrêmes, son nom : Adolf Hitler. Peu pris au sérieux, il n’est considéré que comme un trublion de brasserie, malgré qu’il soit dores et déjà chef d’un parti politique, le fameux parti nazi, il n’en est pas moins qu’un opposant politique parmi d’autres dont les propos, bien que “surprenants”, n’effraient pas plus que ça l’opinion publique. 

Pourtant, assez rapidement son parti va entamer des actions coup de poings pour se faire entendre, à travers sa milice constituée de partisans engagés. Ces actions lui vaudront de susciter l’intérêt d’autres personnes exprimant la volonté de s’allier à lui. Nous sommes en 1922 et le parti Nazi commence à gagner en puissance grâce à de nombreuses alliances. 

Le parti Nazi, dit aussi parti national socialiste des travailleurs allemands, prône le patriotisme extrême et donc le sentiment nationaliste. Deux événements, toujours en 1922, vont profiter à Hitler : la montée au pouvoir de Mussolini et sa marche sur Rome et aussi et surtout l’occupation par la France et la Belgique de deux régions allemandes, la Rhénanie et la Ruhr suite à des retards de paiements pour des réparations prévues par le traité de Versailles. Ce dernier évenement va susciter un fort élan nationaliste qui profitera au parti nazi qui pourra diriger sa propagande pour s’accaparer cet élan soudain. 

En une année, le parti gagne 20 000 membres, portant son effectif à 55 000 personnes. La crise économique très virulente renforcera les troupes de par un discours politique relativement enflammé et faisant entendre aux gens ce qu’ils ont besoin d’entendre, en somme toute, une communication bien huilée pour faire gagner des membres. 

A ce moment là, le parti nazi est vu d’un mauvais œil et le gouvernement en place, bien que malmené par l’opinion face à son inaction suite à l’occupation des deux régions allemandes évoqués précédemment, entreprends de bloquer ses diverses réunions ou actions militantes. Ceci n’aura pour effet que d’amplifier la montée du parti, et Hitler multipliera les rencontres politiques pendant que le gouvernement Allemand s’emmêle les pinceaux dans sa communication interne entraînant des conflits décisionnels qui profiteront à Hitler et ses alliés.

Milices SA le jour du Putsch (wikipedia)

Le Putsch se prépare

La SA, l’oganisation militaire du parti Nazi, qui deviendra plus tard la SS s’organise autour de Hitler et ses alliés qu’il rencontre les 6 et 7 novembre 1923. Le but est de réunir suffisamment de monde pour agir en quasi-simultané dans différents lieux de Bavière autres que Munich, pour prendre le contrôle des gares, des commissariats, des bâtiments publics mais aussi du télégraphe, du téléphone et des stations de radios. 

Malgré des préparatifs bien ficelés, le parti fait pâle figure face aux policiers présents, mieux organisés et armés. De plus, bien que plus nombreux en effectif, moins de la moitié des hommes d’Hitler sont issus du parti ou de la SA, autrement dit, il y a surtout des partisans de type “Monsieur tout le monde” qui se sont lancés dans cette histoire. 

Du côté des autorités, c’est toujours la confusion en interne. La rumeur du Putsch enfle et la réunion du 8 novembre à la brasserie Burgerbraukeller est pointée du doigt comme possible lieu visé par Hitler et ses alliés. Celui-ci avait d’ailleurs choisi la date du 9 novembre pour sa portée symbolique, sachant que le 9 novembre 1918 fut la déclaration d’indépendance de la république allemande.

Une partie des autorités s’inquiète des rumeurs de putsch et propose un renforcement de la sécurité autour de la brasserie, mais une autre partie se veut plus rassurante et propose une sécurité discrète et allégée. Pourquoi un tel manque de synergie? Et bien parce qu’Hitler avait déjà rencontré plusieurs membres du gouvernement bavarois, dont le triumvirat fraîchement nommé que sont Gustav von Kahr, Otto von Lossow et Hans Ritter von Seisser. Ces rencontres avaient semé le doute, certains le voyant comme une menace à prendre au sérieux, d’autres comme un opposant quelconque qui n’oserait pas faire de geste déplacé. 

 

Jour J

Nous sommes le 8 novembre, la réunion du ministère de la guerre du Land Bavarois a lieu dans la brasserie, et le dispositif policier est relativement léger comme prévu. La salle ferme ses portes à 19h15 et ce sont 3000 personnes qui se trouvent ainsi dans la salle, bourgeois, partisans politiques etc… écoutant différents membres politiques tenir leurs discours respectifs. 

Durant le discours de Kahr, un grand bruit se fait entendre et Hitler surgit dans la salle, pistolet à la main et accompagné de plusieurs hommes armés. Les hommes mettent en place une mitrailleuse dans la salle tandis qu’Hitler tire un coup de feu en l’air et monte sur la table. La confusion est palpable dans l’assemblée et Hitler voulant faire peur, ment en disant que le gouvernement bavarois est dores et déjà renversé, que le gouvernement provisoire est en place et que les institutions publiques dont la police, marchent dans leurs rangs désormais. 

Hitler prends à parti le triumvirat et l’emmène dans une pièce attenante. Celui-ci leur explique qu’il compte prendre la tête d’un nouveau gouvernement, qu’il dirige, avec son allié Ludendorff à la tête de l’armée, et chacun des membres du triumvirat se voit attribué un poste à ce nouveau gouvernement. Le but final sera d’organiser une marche sur Berlin pour prendre le pouvoir comme Mussolini en Italie. 

Les trois hommes pris à parti ne veulent pas suivre Hitler, ceux-ci cherchent à temporiser et gagner du temps, mais cela n’empêche pas Hitler de garder la tête froide et de tenir en respect les membres de l’assemblée. Celui-ci revient dans la grande salle et proclame qu’un accord sera trouvé dans les 10 minutes, puis retourne négocier avec le triumvirat. Ludendorff arrive avec des hommes et explique, quelque peu sous la menace, qu’ils doivent suivre le mouvement ou en subir les conséquences….autrement dit, une balle du revolver d’Hitler leur est réservée à chacun. 

De là, les trois hommes reviennent dans la grande salle, et tour à tour, apportent solennellement leur soutien à Hitler, qui tend ensuite un discours enflammant la salle qui approuve totalement, après la stupeur, ce qu’il vient de se passer. La salle est invitée à quitter les lieux, exception faite de quelques otages.

 

Suite et fin

Si à l’intérieur de la brasserie les choses semblent se dérouler comme un plan d’Hannibal de l’Agence tout risque, c’est -à -dire sans accrocs, il n’en est pas de même à l’extérieur de la brasserie. 

Malgré le fait que les forces en place sont en sous-effectif, ou ralliées à la cause d’Hitler, celui-ci a négligé l’occupation de postes clés comme les gares, les postes radios et les postes téléphoniques. En effet, le manque de préparation dû à la précipitation du putsch par rapport à la date du rassemblement en vigueur a entraîné des lacunes organisationnelles. Les autorités peuvent ainsi faire appel à du renfort qui arrivera rapidement sur place. 

Ludendorff autorise le triumvirat à quitter les lieux, et ceux-ci font volte face en arguant légitimement que leur soutien a été obtenu sous la contrainte, et profitent de leur libération pour contacter les autorités à leur tour, pendant qu’Hitler avance d’un pas triomphant en centre ville. Les putschistes peinent à prendre les casernes, et échouent lamentablement dans leur action, laissant Hitler et ses hommes dans l’ignorance du fait que leur soutien est inopérant. 

En ville c’est la confusion, personne ne sait vraiment qui fait quoi, qui a gagné contre qui etc… Hitler et Ludendorff ne se débinent pas et rassemblent 2000 hommes pour faire une marche vers la Feldherrnhalle. Ils passent un 1er barrage de police sans encombre et la foule semble être de leur côté. Hitler est confiant, il pense que l’armée allemande ne tirera jamais sur un héros de guerre comme Ludendorff, et que voyant celui-ci en tête de cortège, ils comprendront qu’ il faudra suivre. 

Arrivé au second barrage c’est la débandade, un échange de coup de feu survient, tuant sur le coup un des alliés d’Hitler : Max Erwin von Scheubner-Richter, blessant un autre grièvement à la jambe, tandis que dans la précipitation, Hitler se démets l’épaule. Il parvient à s’enfuir mais sera arrêté le 11 novembre. Le bilan fait état de 4 morts chez les policiers et 16 chez les putschistes. 

Hitler et ses alliés

Le procès final

Hitler et ses acolytes seront accusés de haute trahison et de meurtre des 4 policiers, ce qui fait risquer à une peine de mort quasi-certaine. Pourtant, le procès fait preuve d’une certaine clémence à l’égard des faits. D’une part, les juges et les procureurs ont de la sympathie pour les accusés, ensuite, Ludendorff de par son “aura” d’héros de guerre attire d’autant plus le respect et la clémence (les gens se disant que si LUI a suivi Hitler c’est qu’il y a de vraies bonnes raisons) et enfin la cour veut minimiser la pseudo-complicité du triumvirat bavarois (alors que sous la contrainte) pour éviter tout scandale. 

Le procès fera office de mascarade, preuves non fournies, témoins non appelés etc… et aussi et surtout ce sera une tribune politique pour Hitler qui saisira l’occasion pour faire de la propagande pour sa cause. Celui-ci assumera la responsabilité du putsch et la justice donnera des peines relativement légères. Ludendorff sera acquitté, jugé “emporté par un élan patriotique” quant à ses autres camarades, ceux-ci auront des peines si faibles qu’elles seront d’emblée absorbées par les 6 mois de préventive écoulées juste avant le procès. 

Hitler, lui, sera condamné à 5 ans de détention, moins 6 mois de préventive déjà purgée, tout comme 3 de ses alliés. Finalement, il sera relâché fin 1924 mais interdit de paroles publiques et de séjour en Prusse jusqu’en 1927. 

Hitler lors d’une de ses réunions commémoratives du putsch

Les conséquences 

La peine de prison infligée à Hitler sera un coup dur pour son parti qui se verra interdit jusqu’en 1925, puis ré-autorisé mais privé de son chef. Le NDSAP (Le parti national socialiste des travailleurs allemands…le parti nazi donc) manquera de se dissoudre à maintes reprises à cause de querelles internes. Hitler amenait la cohésion dans son groupe, mais il ne pouvait plus la maintenir à cause de sa condamnation. 

Durant sa détention, Hitler reçois près de 500 visites, son action a attiré la sympathie de beaucoup de monde, et il veut désormais s’afficher sous une image plus sereine, tout du moins, plus sur la légalité que l’illégalité dans ses actions (mais ce ne sera qu’une ruse évidemment). Durant son séjour, il écrira son livre, Mein Kampf (mon combat) qui aura le triste succès qu’on lui connaît. 

 

Et la brasserie dans tout ça?

Maintenant qu’on a l’histoire, cette brasserie, elle, qu’en est elle? Et bien vous allez voir que l’histoire ne s’arrête pas là pour elle! 

On vous passe la suite de l’histoire d’Hitler, ce n’est pas l’objectif de l’article, mais comme vous l’aurez compris, il va monter en puissance jusqu’à son arrivée au pouvoir. Chaque année, il utilisera ce lieu pour une cérémonie de commémoration des victimes tuées par les autorités lors du putsch, en faisant ainsi des martyrs. L’échec cuisant de cet événement deviendra, par un tour de passe passe politique et propagandiste, un défi glorieux à la tyrannie. 

En 1939, le 8 novembre, lors d’une de ces cérémonies, Hitler échappe de peu à un attentat perpétré par Georg Elser, un opposant au nazisme chevronné qui voulait que cesse le bain de sang perpétré par Hitler. La Pologne venait d’être envahie et ce fut la goutte d’eau pour Georg qui décida de faire exploser une bombe au sein même de la brasserie. 

Georg Elser

L’attentat fut un échec, bien qu’il tua 7 membres du parti nazi, la cible principale, Hitler, a échappé à 13 min près à l’explosion, celui-ci étant parti plus tôt que prévu pour attraper un train voyant que son avion ne pourrait décoller à cause de la météo. La brasserie fut très gravement endommagée mais elle ne fut pas reconstruite. Georg fut arrêté quelque temps plus tard mais exécuté qu’en 1945, Hitler voulait semble-t-il un grand procès contre lui après la guerre qu’il aurait gagné. A ce jour, Georg est devenu une icône reconnue en Allemagne, des stèles et des statues honorent sa mémoire et son acte, et un prix portant son nom est décerné depuis 2001 aux personnes s’étant distinguées par un courage citoyen. La reconnaissance fut tardive pour Georg car il a agi seul, sans parti pris autre que sa volonté de faire cesser la tyrannie, certains crurent même que c’était une mascarade des nazis pour attirer la sympathie sur Hitler et créer un sentiment d’irréductibilité du Führer face à ses opposants. 

La brasserie après l’attentat

Après l’attentat (il y en eut d’autres contre Hitler au cours de l’histoire), les cérémonies furent données dans une autre brasserie, qui existe encore, la Lowenbraukeller.

Durant l’occupation alliée, les américains récupèrent les locaux de la brasserie pour en faire un centre de loisirs pour leur troupes. En 1958 les lieux rouvrent pour redevenir une brasserie et un espace événementiel.

En 1979 le bâtiment est détruit définitivement et remplacé par un bâtiment contenant plusieurs structures (Associations, hôtel etc…) et une plaque est posée à l’endroit du pilier où fut posé la bombe de Esler, rappelant son geste. Les mausolés érigés par Hitler pour commémorer la mort des putschistes “martyrs” furent remplacés par des plaques commémorant la mort des 4 policiers qui les ont affrontés.

La plaque commémorative

En conclusion

Vous l’aurez compris, avec le contexte historique, les brasseries allemandes ont de sacrés histoires à raconter, contrairement à nos brasseries toutes récentes. L’histoire et la bière sont souvent liées car elles restent un lieu de rassemblement. Nous le verrons dans un autre article, si les brewpubs allemands ont ramenés du monde, et donc des événements historiques, c’est aussi la même chose pour les “Public Houses”, c’est à dire les Pubs qui ont été le théâtre de nombreux événements et rencontres historiques, notamment aux USA et en Angleterre. 

Ici, cette brasserie aura donc été le théâtre du début de l’ascension d’une des figures les plus violentes de l’histoire mais aussi un des actes d’opposition manqué les plus retentissants de cette période funeste du 20è siècle….. Un acte qui, s’il avait réussi aurait sans doute changer la face du monde et épargné de nombreuses vies. 

La bière et l’histoire sont finalement très souvent liées entre elles, pour le pire et pour le meilleur, et si ici nous sommes sur une période relativement sombre, vous verrez que plus tard nous parlerons d’événements plus joyeux liés à la bière également. 

Moralité : quand vous avez une brasserie, faites attention à qui vous privatisez votre salle, on ne sait jamais! 

 

Sources :

 

Greg
Marseillais amateur de bières, je vais vous faire découvrir cette boisson à travers son histoire, des dossiers, de l'actu et enfin des tests de bières diverses et variées!

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