Je ne vais pas vous sortir la sempiternelle rengaine sur le fait que la bière est un lubrifiant social, que ça a sauvé le monde, etc. Non, on n’est pas comme ça ici, et puis surtout, c’est relativement faux. MAIS, la politique et la bière ont de réels liens !
Vous avez vu passer ces photos d’Obama sirotant sa bière, n’est-ce pas ? Et si je vous disais qu’au-delà même de ce cher Barack, d’autres personnalités politiques ont un lien étroit avec la bière pour différentes raisons ?
Partons ensemble à la rencontre de plusieurs personnalités politiques à travers la bière, des caves de Mount Vernon, en passant par la Maison-Blanche, les pubs britanniques ou encore l’Élysée. Découvrons ensemble comment la bière a su trouver sa place au sein des plus hautes instances gouvernementales de nos pays !
Jacques Chirac : un réel amateur de bière !
Vous connaissez tous ce personnage, que ce soit à travers son Guignol ou sa propre personne. Ce président de la République est devenu aujourd’hui une icône pour beaucoup de gens, quel que soit leur bord politique. Certes, notre Chichi était de droite, mais il était aussi gaulliste, d’une époque où la droite était un peu moins à droite, surtout par rapport à maintenant ! Chirac, c’est un maire devenu ministre puis deux fois président (et encore, je vous fais un méga-raccourci de son parcours politique). Il a été mêlé comme tout homme politique à des magouilles, mais il nous a évité une guerre en Irak et, surtout, il jouissait d’une énorme popularité, notamment grâce à sa marionnette des Guignols de l’info. C’est assez dingue quand on y pense !
Un passage chez Bush dans le Missouri
Mais Chirac, en dehors de sa politique, c’était un bon vivant, un grand gaillard qui aimait la boustifaille, le bon vin, mais aussi la bière, et pas qu’un peu ! C’était un homme du peuple, qui n’hésitait pas à trinquer et à prendre des bains de foule, tandis que d’autres se cachent derrière des gorilles en costard et lunettes de soleil. Cette image populaire l’aura aidé dans sa carrière, et son lien avec la bière, une boisson populaire et abordable (bien que le vin le soit aussi chez nous), lui donnait une sorte d’image de bon gars avec qui on a envie d’échanger autour d’une pinte fraîche, comme si c’était ce bon vieux Norman de Cheers (série que je vous conseille !).
Mais avant de devenir l’homme que l’on connaît, Chirac était aussi un jeune homme qui, en 1953, est parti aux États-Unis juste après son diplôme de Sciences Po et avant d’intégrer l’École Nationale d’Administration (ENA) pour suivre des cours à la Harvard University Summer School. Là-bas, il a effectué plusieurs emplois, dont celui de cariste pour le géant Anheuser-Busch à Saint-Louis, dans le Missouri ! Un géant brassicole dont nous relaterons l’histoire prochainement.
Chirac a lui-même confié cette anecdote en février 2003 dans le Time Magazine, en précisant aussi ses autres petits boulots d’étudiant.
Cette expérience, bien que très éphémère, lui aura surtout permis de sortir du milieu du vin dans lequel la France était encore très ancrée à l’époque. Cela a eu pour avantage, en quelque sorte, de démystifier la bière et de l’intégrer plus facilement dans ses références culturelles, contrairement à ses autres confrères politiques.
Chichi, influenceur pour Corona ?
Brooklyn Brewery a Garrett Oliver, eh bien Corona a eu Chirac… à son grand étonnement d’ailleurs !
Il faut dire qu’il était un grand fan de cette Lager industrielle mexicaine. On raconte qu’il en buvait régulièrement, et plus particulièrement à chaque victoire électorale, des moments immortalisés en photo. Selon certaines sources, il était devenu le meilleur ambassadeur de la marque en Europe, faisant décoller les ventes de 2 à 25 millions d’unités durant la période où il s’affichait avec cette bière. Chichi est donc un des premiers influenceurs bière ! PRENDS ÇA, JIVAY !
Ce fameux “Effet Chirac” aurait également eu pour conséquence de faire augmenter le prix de la bière, la marque cherchant à capitaliser sur ce succès et cet engouement soudain. Une capitalisation avec un facteur multiplicateur double, voire triple, qui aura toutefois fait grincer bien des dents chez la concurrence.
Cette popularisation involontaire d’une marque par une personnalité est ce que l’on pourrait appeler un celebrity endorsement involontaire en termes de marketing. Ce type d’engouement est devenu récurrent avec les influenceurs du web, mais à l’époque, cela restait quelque peu inédit. Certes, on a vu les ventes de Ray-Ban exploser après Top Gun, mais c’était surtout du placement de produit. Là, on est clairement sur une consommation personnelle, sans aucune intention de publicité, qui, par la popularité du personnage, a influencé les gens. Le pire ? La Corona n’est pas franchement bonne, mais le charisme du personnage a balayé cela, et les gens ont consommé cette bière.
Un exemple très récent : les fameuses pénuries de Guinness après une simple photo de Kim Kardashian à la Saint-Patrick en train de boire une pinte de l’iconique stout irlandaise… un celebrity endorsement tellement colossal que le groupe Diageo a dû rationner ses ventes pour que chaque établissement puisse avoir de la Guinness.
Mitterrand et la 1664
Si Jacques Chirac aimait la Corona, il aimait aussi la 1664 de Kronenbourg. Une anecdote particulièrement amusante et typique du personnage raconte comment, lors d’un dîner réunissant Jacques Chirac, à l’époque Premier ministre, le président François Mitterrand, le chancelier allemand Helmut Kohl et la Dame de fer Margaret Thatcher, notre Chichi national a dérouté ses convives avec une réponse des plus amusantes.
Durant ce dîner, que Chirac jugeait pédant et arrogant, le président Mitterrand pose une question à ses invités, leur demandant quelle était, selon eux, la date la plus importante pour la construction de l’Europe. Tandis que chacun y allait de sa réponse la plus savante, Chirac, quant à lui, lève son verre et répond : “1664”, en référence à la bière que vous connaissez tous.
Tandis que chacun y allait de sa réponse la plus savante, Chirac, quant à lui, lève son verre et répond : “1664”, en référence à la bière que vous connaissez tous.
Cette réponse est typique du personnage, et on imagine assez bien le président Mitterrand rouler les yeux au ciel en entendant sa réponse. Pour le contexte, Mitterrand était alors en pleine cohabitation avec Chirac, chose que le futur président gaulliste subira à son tour avec l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon. Cette anecdote, quant à elle, reflète bien le personnage proche du peuple que se voulait être Chirac : une personne appréciée par une large frange de la population, au-delà de son bord politique, une image de bon vivant franchouillard, homme du peuple, pragmatique et parfois irrévérencieux.
Chirac et le Chevalier du Houblon d’Or
Non, ce n’est pas une parodie de Tintin avec notre figure politique culte, mais bel et bien une reconnaissance officielle qu’il a obtenue en 1987 durant son second mandat de Premier ministre. Cette année-là, il fut intronisé comme chevalier de la “très grande et respectée Confrérie du Houblon d’Or”, et durant cette cérémonie, il a dû prêter serment de “fidélité à la bière, fille du houblon”.
Bien entendu, cette anecdote est surtout symbolique, mais elle prouve une nouvelle fois que Chirac aimait la bière et que les gens l’avaient bien identifié. Cela ajoute, en quelque sorte, un panache folklorique à son amour pour la bière, en officialisant le fait qu’il en est finalement l’un des principaux représentants au sein d’une classe politique plutôt orientée vers le vin. Quand on voit le dernier passage de François Bayrou au Salon de l’Agriculture, on constate bien que, jusqu’à présent, peu d’hommes politiques ont valorisé le milieu brassicole comme l’a fait Jacques Chirac à son époque.
Présidents américains et bière : une histoire d’amour ?
On le sait, les États-Unis sont un pays à la tradition brassicole bien ancrée dans leurs origines. Pays fondé par des colons venus d’Europe, notamment d’Irlande, d’Angleterre ou encore d’Allemagne, ceux-ci ont apporté avec eux leur savoir-faire brassicole, bien qu’ils aient dû s’adapter aux ressources sur place. Ce n’est pas pour rien que la famille Anheuser-Busch est d’origine allemande, par exemple, mais nous y reviendrons dans un article ultérieur.
Certes, les États-Unis ont actuellement un bonhomme orange excentrique et dangereux qui a un bouton pour se faire amener du Coca-Cola, mais ça n’a pas toujours été le cas !
George Washington : père fondateur et brasseur passionné
Vous connaissez tous ce personnage historique dont la capitale du pays porte le nom, premier président des États-Unis. Il était connu pour être un grand leader militaire et politique, mais il avait aussi d’excellentes compétences en agriculture et en entrepreneuriat, notamment dans la production de boissons, dont la bière, qu’il appréciait tout particulièrement.
Avant de devenir le chef d’État du pays de l’Oncle Sam, en 1757, il était colonel dans la milice de Virginie durant la guerre de la Conquête (French and Indian War). Durant son service, il a consigné dans l’un de ses carnets personnels une recette intitulée “To make small beer”. Ce fameux carnet est actuellement conservé à la New York Public Library.
Cette recette, typique de la période coloniale américaine, utilise du son de blé, du houblon, de la mélasse et du moût. Comme son nom le suggère, il s’agit d’une bière à faible taux d’alcool ; c’était surtout une boisson fabriquée comme alternative à l’eau, souvent non potable.
Outre cette recette, George Washington avait un domaine à Mount Vernon, en Virginie, où il aimait importer des bières d’Angleterre comme la Dorset Beer, et il raffolait des Porters. Le hic, c’est que la qualité était souvent jugée décevante pour cet amateur de bonne bière, qu’il buvait à chaque repas. Les importations nuisaient à la qualité, sans compter la casse. C’est ainsi que Washington s’est intéressé à la production locale et, surtout, domestique !
On suppose que le brassage à Mount Vernon impliquait sans doute des travailleurs esclaves ; Lincoln est encore loin avec sa future abolition de l’esclavage. Certaines sources indiquent que le houblon était fourni par des fossoyeurs d’esclaves connus dans la région. Évidemment, il ne faut pas confondre cette petite fabrication de bière à usage domestique avec la fameuse distillerie fondée à la fin du XVIIIe siècle sous l’impulsion de James Anderson, le régisseur écossais de Washington. La distillerie produisait 11 000 gallons de whisky par an et générait de juteux profits. En vérité, Washington préférait la bière au whisky, mais en bon homme d’affaires, il a vite compris que la bière représentait encore à l’époque une nécessité, tandis que le whisky offrait de grandes opportunités commerciales.
Thomas Jefferson : l’autre passionné du brassage
Troisième président américain, Jefferson éprouvait un grand intérêt pour le brassage. Et pour cause, sa propriété à Monticello avait un espace entier dédié au brassage, avec une cave à bière. Les plans originaux prévoyaient déjà cet espace, mais il ne fut concrétisé qu’à sa retraite politique.
C’était son épouse, Martha Wayles Skelton Jefferson, qui se chargeait du brassage au départ. Elle produisait près de 57 litres de “small beer” toutes les deux semaines. Martha décédera en 1782 et Jefferson prendra la suite, en investissant un peu plus dans le processus. Il fit appel à un certain Joseph Miller, un maître brasseur d’origine anglaise résidant en Virginie, pour l’épauler dans son projet. Miller lança notamment le maltage de son propre grain ainsi que la culture du houblon. Autre acteur notable, Peter Hemings, un esclave qui était cuisinier et tailleur, fut formé par Miller aux techniques de maltage et de brassage. Celui-ci devint par la suite le brasseur en chef de Monticello.
Les bières produites à Monticello étaient très appréciées. Jefferson lui-même faisait les louanges des productions de Hemings auprès de Miller, qui était lui aussi fier de son apprenti.
À l’inverse de Washington qui réalisait un brassin domestique, Jefferson avait créé une petite production locale très appréciée avec un réel savoir-faire, dont celui d’un esclave reconnu malgré son statut : une coexistence paradoxale entre l’esclavage et la reconnaissance individuelle, plutôt rare à une époque où la main-d’œuvre esclave n’était que peu considérée.
Barack Obama et sa White House Honey Ale
44e président américain et premier président afro-américain, Barack Obama était très apprécié durant son mandat et il a ravivé la tradition brassicole présidentielle de ses pairs.
En janvier 2011, il lance la production de ce que l’on peut considérer comme la toute première bière officiellement brassée à la Maison-Blanche : la White House Honey Ale ! Barack a acheté sur ses fonds propres le kit de brassage original, et le miel est rapidement devenu l’un des ingrédients majeurs de cette production.
Michelle Obama, épouse de Barack, avait fait installer des ruches sur la pelouse sud de la Maison-Blanche. Rapidement, l’idée d’utiliser le miel s’est imposée et, en plus de la Honey Ale, les chefs de la Maison-Blanche, en accord avec Barack lui-même, élaborèrent de nouveaux styles à base de miel, tels qu’une Blonde Ale, une Porter ou encore une Brown Ale.
Ces bières n’étaient pas que pour la consommation personnelle de POTUS ; elles étaient aussi proposées lors de divers événements organisés au sein de la Maison-Blanche. Une anecdote souvent relayée est celle du sergent du Corps des Marines, Dakota Meyer, qui, alors qu’il allait recevoir la Médaille d’Honneur, avait exprimé l’envie de partager une bière avec le président : vœu exaucé, les deux hommes boiront une Honey Ale sur la terrasse du Bureau Ovale.
La bière “Obama” a suscité un grand engouement auprès du public. Le storytelling original était positif et engageant d’un point de vue marketing. Utilisation d’ingrédients locaux, financement personnel et mise en open source de la recette : le coup de com’ d’Obama a eu le même effet que pour Chirac, le rapprochant du peuple, lui donnant une image accessible et moderne, tandis que la bière craft poursuivait son ascension au pays de l’Oncle Sam.
Tout comme notre président français, Obama a su ainsi gagner les faveurs de son électorat en augmentant considérablement son capital sympathie et en renforçant l’image qu’il voulait donner d’un homme moderne et transparent.
La création involontaire du “Beer Summit”
En juillet 2009, le président Obama fut l’hôte de ce que les médias ont surnommé le “Beer Summit”. Cette réunion n’avait aucun lien avec la bière au départ. Il s’agissait d’une rencontre visant à apaiser les tensions nées de l’arrestation controversée de Henry Louis Gates Jr., un professeur afro-américain réputé de Harvard, par le sergent James Crowley, un policier blanc de la ville de Cambridge (Massachusetts). Arrêté à son domicile, l’arrestation fut qualifiée par beaucoup de racialement motivée. Pour la petite histoire, le professeur avait oublié ses clés et avait dû forcer sa porte pour rentrer chez lui. Signalé par un voisin, les policiers se rendirent sur les lieux et arrêtèrent l’homme de manière brutale, sans le laisser s’expliquer, alors qu’il avait une myriade de preuves attestant qu’il essayait simplement de rentrer chez lui.
Obama, bien que jugeant qu’il risquait de manquer d’impartialité, proposa aux deux hommes de venir dialoguer avec lui autour d’une bière dans le Jardin des Roses de la Maison-Blanche. L’idée était de créer un dialogue dans un cadre informel et détendu. Joe Biden, alors vice-président, prit part à cet “apéro” diplomatique.
Chose amusante, ce “Beer Summit” fut analysé par de nombreux politologues. Le choix des bières fut décortiqué et interprété :
Barack Obama a choisi une Bud Light, une volonté pour certains de se rapprocher de l’Américain moyen (le “Joe Sixpack”).
Le sergent Crowley a bu une Blue Moon Belgian White de Coors, le choix d’une bière “blanche” fut relevé comme ironique par certains.
Le professeur Gates Jr. quant à lui, prit une Sam Adams Light, une bière fabriquée dans son État d’adoption.
Enfin, Biden, futur président, prit une Buckler sans alcool.
Bien que perçu positivement, cet événement n’a pas pour autant résolu la question des actes à caractère racial aux États-Unis, des actes qui se sont décomplexés avec l’arrivée de Trump aux manettes. Le public a accueilli cet événement avec un certain positivisme, mais il n’a pas été dupe pour autant sur son caractère médiatique. Sans compter que le choix de bières industrielles a été mal perçu par beaucoup.
Quand la politique façonne l’industrie brassicole
Au-delà des préférences personnelles, certaines décisions politiques ont eu un impact majeur sur l’industrie brassicole, plus particulièrement aux États-Unis.
Citons tout d’abord Franklin D. Roosevelt, 32e président américain, qui s’est entre autres illustré par son entrée en guerre contre les Japonais après Pearl Harbor. Il est également le président qui a mis fin à la Prohibition, période très importante de l’histoire américaine contemporaine sur laquelle nous reviendrons en détail. Roosevelt a signé le 22 mars 1933 le Cullen-Harrison Act, surnommé “Beer and Wine Revenue Act”. Cette loi autorisait la production et la vente de bière et de vin dont la teneur en alcool ne dépassait pas un certain taux (environ 4 %). Cet acte fut une première étape vers la fin de la Prohibition, abrogée ensuite par le 21e amendement en décembre de la même année.
L’objectif était de générer des revenus fiscaux indispensables en pleine Grande Dépression et de redonner aux États la possibilité de réglementer la vente de boissons alcoolisées. Pour faire simple, et je vous détaillerai l’incroyable histoire de la Prohibition dans un article dédié, cette période a eu plus de conséquences négatives que positives : montée de l’insécurité, augmentation des boissons frelatées, pertes économiques, chômage, etc. Roosevelt décida donc d’agir avec bon sens, ce qui sera salué par le public, qui fera du 7 avril 1933, date d’entrée en vigueur de la loi, le National Beer Day, célébré encore aujourd’hui !
Quelques années plus tard, c’est au tour du président Jimmy Carter de donner lui aussi un coup de fouet à la bière américaine. Le 14 octobre 1978, il signe la loi H.R. 1337 : une loi qui concernait principalement la taxation des transports, mais qui contenait un amendement très important, introduit par le sénateur Alan Cranston, légalisant au niveau fédéral le brassage et la vinification amateur à des fins de consommation personnelle. C’était le début de la révolution craft américaine, que nous explorerons aussi ensemble dans un article détaillé !
Auparavant, brasser chez soi était une activité illégale. La crainte principale venait des moonshines, des alcools distillés clandestinement et souvent dangereux, comme on en trouvait durant la Prohibition. Bien entendu, les gens brassaient quand même chez eux, et des cercles de brasseurs amateurs existaient déjà dès les années 1960. Charlie Papazian, un des pionniers de la révolution craft américaine et du homebrewing, qu’il me tarde de vous faire découvrir en détail, donnait déjà des cours de brassage à la fin des années 70 et il ne désemplissait pas. Une fois la loi appliquée, il publiera le premier livre de homebrewing et participera à la création de l’American Homebrewers Association. Il est aujourd’hui, comme Michael Jackson au Royaume-Uni, une figure reconnue du milieu brassicole contemporain.
La bière, auparavant un hobby, se démocratise. L’envie de sortir des goûts standardisés, souvent jugés fades, se fait sentir, créant ainsi de nouvelles vagues de styles remis au goût du jour, comme les IPA, et provoquant la refonte totale d’un marché oligopolistique devenu trop standardisé pour le consommateur.
La bière à travers d’autres figures politiques internationales
S’il est assez simple de se tourner vers Chirac puis les États-Unis pour parler politique et bière, notre boisson houblonnée favorite est présente dans la classe politique de bien d’autres pays.
Prenons le Royaume-Uni, un pays de forte tradition brassicole où les hommes et femmes politiques se doivent d’être vus au pub pour montrer leur proximité avec le citoyen ordinaire. En 2015, David Cameron est photographié buvant une Greene King IPA avec le président chinois Xi Jinping au pub The Plough à Cadsden, une diplomatie informelle médiatisée permettant d’illustrer à la fois la convivialité et une forme de soft power britannique. L’exubérant Boris Johnson a lui aussi été vu de nombreuses fois brandissant une pinte dans des pubs, durant la campagne du Brexit puis pendant son mandat de Premier ministre.
Le pub est le meilleur moyen pour toute figure politique de se rapprocher de ses électeurs. En France, Chirac l’avait compris et faisait de même dans les salons agricoles et les troquets. Aujourd’hui encore, on peut voir des personnalités politiques françaises photographiées dans des bars ou des cafés.
En Allemagne, autre pays à forte culture brassicole, la bière est très importante, que ce soit à travers des fêtes comme l’Oktoberfest ou la fameuse loi sur la pureté de la bière, le Reinheitsgebot. Il est courant de voir des dirigeants politiques consommer de la bière, notamment au cours de fêtes traditionnelles. Angela Merkel en est un bel exemple : amatrice de vin blanc, elle a néanmoins toujours respecté la bière et ses traditions en se montrant à divers événements. On peut citer sa participation aux 500 ans du Reinheitsgebot, sa visite de la brasserie Köstritzer en sirotant une Schwarzbier, ou sa présence à l’Oktoberfest de Munich. Plus anecdotique, il y a cette fois où un serveur quelque peu maladroit a renversé cinq verres de bière dans son dos, ce que la chancelière a pris avec le sourire, fort heureusement.
Chez nos voisins allemands, la consommation publique de bière relève moins d’une posture populiste que d’un acte d’adhésion aux cultures et traditions nationales et régionales. Boire une bière est une manière d’incarner les coutumes du pays et de les respecter.
Citons un avant-dernier homme politique qui s’est illustré dans le Livre Guinness des records : Bob Hawke, ancien Premier ministre australien de 1983 à 1991, devenu célèbre avant même le début de sa carrière politique grâce à un exploit lié à la bière. En 1954, alors qu’il était encore étudiant, il a établi le record du monde en buvant un “yard of beer” (environ 1,4 litre) en seulement onze secondes… un record ! Pour celleux qui ne connaissent pas, un “yard of beer” est, pour faire simple, un verre de Kwak sous testostérone.
Cette anecdote a largement contribué à forger l’image d’un personnage rebelle et anticonformiste, ce qui est un peu devenu sa légende, son storytelling. L’électorat australien a adoré ça. Ces traits de caractère, qui faisaient écho à son exploit de jeunesse, ont plu à une population en quête de figures anti-establishment.
D’ailleurs, cette légende s’est concrétisée bien des années plus tard. Bob Hawke a en effet été une figure centrale de la création de la brasserie qui porte son nom, Hawke’s Brewing Co. L’idée est née en 2015 de deux publicitaires australiens, Nathan Lennon et David Gibson, qui souhaitaient créer une bière incarnant les valeurs de Hawke. Séduit par leur projet, l’ancien Premier ministre a accepté de prêter son nom et son image, devenant un co-fondateur emblématique. Fait notable, il a exigé qu’une partie des bénéfices soit reversée à Landcare Australia, une organisation environnementale qu’il soutenait ardemment. La brasserie a depuis ouvert un lieu très populaire à Sydney, le « Bob Hawke Beer & Leisure Centre ».
Enfin, concluons ce tour d’horizon avec Václav Havel, ex-président de la République tchèque et dramaturge dissident, qui entretenait un lien profond, voire intellectuel, avec la bière. Lors de la répression du Printemps de Prague en 1968, il fut interdit de théâtre et contraint d’exercer plusieurs petits boulots. Il travailla notamment au sein de la brasserie Krakonoš à Trutnov, en Bohême orientale, ce qui le mit en contact direct avec le monde ouvrier et brassicole. Cette expérience lui servira dans l’écriture de sa célèbre pièce de théâtre Audience (1975), dans laquelle le personnage principal, son alter ego, est un intellectuel dissident travaillant dans une brasserie et se confrontant à son supérieur, le maître brasseur. Cette expérience et le succès de sa pièce se répercutèrent sur sa stratégie politique : pour lui, la bière et les pubs étaient de véritables lubrifiants sociaux, des maisons du peuple où l’esprit critique pouvait pleinement s’épanouir.
En conclusion
Il doit exister bien d’autres anecdotes que je n’ai pas citées ici, mais cet article montre que la bière, et les lieux qui s’y rattachent, sont perçus comme un reflet du citoyen moyen. Chirac se voulait homme du peuple, les présidents américains brassent, les politiques britanniques et allemands vont dans les pubs et les fêtes traditionnelles ; toutes ces actions, à la fois spontanées et calculées, permettent à ces personnalités de montrer qu’elles ne sont pas une élite à part.
Si Chirac a eu tant de popularité, c’est lié à son populisme, son amour des gens et son côté bon vivant. Les figures politiques trop guindées, trop élitistes, ont du mal à gagner en sympathie. Si l’on fait fi des diverses casseroles de nos élus, un président comme Macron, perçu comme quelqu’un de “hors-sol” par rapport au Français moyen, Bayrou qui parle de bière belge au stand des Brasseurs de France, ou Gérard Larcher qui se vante des banquets de l’Assemblée, tous se retrouvent avec une image élitiste dont ils ne peuvent plus se défaire.
Bien sûr, mon article se veut neutre : quand je vous parle de Chirac, j’évoque son capital sympathie sans mettre de côté ses travers politiques. Cette analyse vise surtout à montrer que la bière, de tout temps, est une boisson populaire et multiclasse. Si les Grecs et les Romains voyaient les buveurs de bière comme des barbares, nos politiques ont quant à eux bien compris que les buveurs et buveuses de bière sont perçus comme des citoyens lambda dont il faut se rapprocher. Beaucoup d’entre eux viennent d’ailleurs des classes populaire ou moyenne ; il est donc important de rester ancré dans ces racines. Car, tout comme les beer snobs ne font pas vivre une brasserie, ce ne sont pas les classes les plus hautes qui élisent une personnalité politique, du simple fait que plus on monte dans les couches sociales, moins les gens sont nombreux. D’où la nécessité de se montrer dans les pubs, les salons, les événements populaires et de se rapprocher de la majorité.
La bière est une sorte de miroir des cultures, un instrument stratégique à ne pas mettre de côté, et un produit qui a un réel impact économique et social, comme nous l’avons vu avec le court passage sur la Prohibition.
Sources :
- Jacques Chirac – Wikipedia, https://en.wikipedia.org/wiki/Jacques_Chirac
- Verbatim | Air & Space Forces Magazine, https://www.airandspaceforces.com/article/verbatim-2003-04/
- CORONA, une bière Belge ??? 5 anecdotes sur la marque ! – YouTube https://www.youtube.com/watch?v=2Mzvu2LO6Ns
- Bienvenue dans l’île de la bière CORONA, Corona Island….., https://www.cafa-formations.com/bienvenue-dans-lile-de-la-biere-corona-corona-island/
- Corona (bière) – Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Corona_(bi%C3%A8re)
- Les 7 points communs entre la Corona et le Coronavirus – Mon Petit Houblon, https://www.monpetithoublon.com/magazine/corona-coronavirus-points-communs/
- Chirac, chevalier de la bière – Une bière et Jivay #12 – YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=uUPlrw_UU4M
- Réclamation à 1664, la logique du nombre face au client mécontent, https://www.sensduclient.com/2022/05/reclamation-1664-la-logique-du-nombre.html
- 1664 (bière) – Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/1664_(bi%C3%A8re)
- Has anyone attempted George Washington’s « Small Beer »? : r/Homebrewing – Reddit, https://www.reddit.com/r/Homebrewing/comments/3te73n/has_anyone_attempted_george_washingtons_small_beer/
- George Washington and Beer – Mount Vernon, https://www.mountvernon.org/the-estate-gardens/food-culture/beer
- To Make Small Beer | The New York Public Library, https://www.nypl.org/about/divisions/manuscripts-division/george-washington-beer
- George Washington’s Beer Recipe, Brewery and Distillery at Mount Vernon,, https://beerinfo.com/george-washingtons-beer-recipe/
- Distilled Spirits at Mount Vernon | George Washington’s Mount Vernon, https://www.mountvernon.org/the-estate-gardens/distillery/distilled-spirits-at-mount-vernon
- Jefferson, Thomas – Craft Beer & Brewing,https://beerandbrewing.com/dictionary/eQcLnw0PNX/
- Monticello Mountain Ale Debuts | Virginia Craft Beer Magazine, , https://virginiacraftbeer.com/monticello-mountain-ale-debuts/
- White House Honey Ale – Wikipedia, https://en.wikipedia.org/wiki/White_House_Honey_Ale
- White House divulges Barack Obama’s honey beer recipe – BBC News, https://www.bbc.com/news/world-us-canada-19454412
- What Henry Louis Gates Thinks About The “Beer Summit” Incident, 11 Years Later, https://www.anisfield-wolf.org/2020/02/what-henry-louis-gates-thinks-about-the-beer-summit-incident-11-years-later/
- Beer Summit (22-16972-F) | Barack Obama Presidential Library, https://www.obamalibrary.gov/digital-research-room/finding-aids/beer-summit-22-16972-f
- WORLD: Cold beers soothe Obama race row | London Evening Standard, https://www.standard.co.uk/hp/front/world-cold-beers-soothe-obama-race-row-6739887.html
- Unsolicited advice about organic beer for the Obama Beer Summit – Grist.org, https://grist.org/article/2009-07-30-obama-beer-summit-organic-beer/
- FDR legalizes sale of beer and wine | March 22, 1933 – History.com, https://www.history.com/this-day-in-history/march-22/fdr-legalizes-sale-of-beer-and-wine
- Journée nationale de la bière | San Jose Public Library, https://www.sjpl.org/fr/blogs/post/national-beer-day/
- Cheers to Jimmy Carter: The President Who Sparked a Craft Beer Revolution | The Casual Pint Beerstro, https://thecasualpint.com/cheers-to-jimmy-carter-the-president-who-sparked-a-craft-beer-revolution/
- Jimmy Carter: American homebrew hero? | National Museum of American History, https://americanhistory.si.edu/explore/stories/jimmy-carter-american-homebrew-hero
- David Cameron treats President Xi to a very British night at the pub – YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=7AHjwYsdnck
- 21 David Cameron And Chinese President Xi Jinping Visit Princes Risborough Pub Stock Photos & High-Res Pictures – Getty Images, https://www.gettyimages.com/photos/david-cameron-and-chinese-president-xi-jinping-visit-princes-risborough-pub
- On a student pub crawl in 2006 Boris Johnson proved more popular as an idea than a reality, https://www.newstatesman.com/politics/uk-politics/2019/12/student-pub-crawl-2006-boris-johnson-proved-more-popular-idea-reality
- Boris Johnson foreign secretary and MP holding a pint of beer in a pub Stock Photo – Alamy, https://www.alamy.com/stock-photo-boris-johnson-foreign-secretary-and-mp-holding-a-pint-of-beer-in-a-102877069.html
- Nigel Farage holding a pint with the British flag – Craiyon, https://www.craiyon.com/image/m1Q_u9uGR7e4QcU2g45UCw
- 225 Nigel Farage Pint Stock Photos, High-Res Pictures, and Images, https://www.gettyimages.com/photos/nigel-farage-pint
- Keir Starmer – Wikipedia, https://en.wikipedia.org/wiki/Keir_Starmer
- Prime Minister – GOV.UK, https://www.gov.uk/government/ministers/prime-minister
- Drinking Habits of 20 World Leaders – Lancaster Brewery, https://www.lancasterbrewery.co.uk/news/drinking-habits-of-20-world-leaders
- Köstritzer Brewery – Bitburger International, https://www.bitburger-international.com/en/our-brands/koestritzer/koestritzer-brewery
- Waiter spills beer on German Chancellor Merkel – YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=a8hfDAJDAug
- O’zapft is! – Wikipedia, https://en.wikipedia.org/wiki/O%27zapft_is!
- Bob Hawke: Australia’s Beer Drinking Legend | Beer Is OK, https://beerisok.com.au/blog/bob-hawke-beer-drinking-legend/
- Václav Havel – Wikipedia, https://en.wikipedia.org/wiki/V%C3%A1clav_Havel
- Quarantine in Lagerland – GOOD BEER HUNTING, https://www.goodbeerhunting.com/retrocausality/2020/6/5/quarantine-in-lagerland