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La bière artisanale est-elle en train d’atteindre son plafond de verre ?

Près de 3000 brasseries, des parts de marché grignotées aux industriels, aucun doute, la bière artisanale a su jouer des coudes face aux grosses brasseries et redorer son image. Mais est-ce pour autant un phénomène durable ou sommes-nous sur le point d’atteindre une limite ?

Si la période post-COVID a été un incroyable frein au développement suivi d’une série de fermetures prématurées, il est nécessaire de prendre surtout la température du côté de nos confrères américains dont le secteur a une énorme longueur d’avance.

La décennie 2010 a été une période parfaite, tout était propice à l’installation et/ou au développement dans un marché favorable et une conjoncture encore très positive pour pérenniser son activité. L’expansion au niveau mondial a été fulgurante, quasiment partout la bière s’est redécouverte auprès du consommateur qui a su lui aussi réadapter son palais à des recettes inédites auxquelles les industriels ne croyaient pas.

Pourtant, en cette période 2024-2025, un point de bascule a été atteint. Sur le marché américain, précurseur des tendances mondiales, un solde négatif a été enregistré : plus de fermetures ont été comptées que d’ouvertures. En parallèle, les niveaux de production ont donc baissé, que ce soit en volumes ou parts de marché, et beaucoup se sont demandé si les verres n’étaient pas devenus vides pour de bon.

Pourtant, quitte à spoiler un peu les choses, ce n’est pas la fin, mais plutôt une rationalisation et une réorganisation du secteur qui se fait. La culture craft se maintient, mais le consommateur évolue lui aussi, et beaucoup d’échecs ne sont pas seulement inhérents à la conjoncture exclusivement. La bière devient un marché mature, fragmenté, hautement compétitif et il faut désormais jouer des coudes pour pouvoir sortir du lot.

Dans cet article, nous allons d’abord nous orienter sur les USA dont les derniers articles de presse relatent une réelle tendance au changement dans le milieu craft, avant de nous diriger vers notre propre secteur pour en venir à d’éventuelles conclusions. Nous ne sommes pas ici sur un article alarmiste ou pessimiste mais plutôt sur une analyse cohérente de l’état actuel du secteur.

 

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Source : Gemini

 

Focus sur le marché Américain pour commencer

Make American Beer Great Again ?

Beaucoup le savent, la révolution craft démarre en 1979 au pays de l’Oncle Sam avec l’autorisation aux amateurs de brasser leur propre bière chez eux, le marché américain est ainsi devenu un véritable incubateur du mouvement avec des brasseries mondialement connues et des acteurs incontournables du marché comme Garett Oliver, Papazian etc…

Pourtant, le marché US a aujourd’hui baissé de 1,2% en volume de production en 2024, tandis que les brasseries artisanales indépendantes ont vu un volume décliner de près de 4% avec une tendance aggravée cette année. Le rapport de mi-année de la Brewers Association a estimé une baisse de 5% par rapport à l’an dernier.

Sur un plan plus structurel, le nombre de brasseries, comme évoqué plus haut, est en baisse de 1% passant de 9 352 unités à 9 269 cette année en Juin. Évidemment, 1% semble ridicule, mais cela témoigne pourtant d’un fait inquiétant : c’est la première fois que les fermetures sont plus nombreuses que les ouvertures. Mais alors pourquoi cette baisse ? Plusieurs raisons tendent à expliquer ce phénomène.

 

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Source : Gemini

 

Un épuisement du consommateur sur les IPA ?

Au-delà des chiffres, tournons-nous vers le côté culturel de la bière, le consommateur ! Souvenez-vous de ce cliché du hipster buveur d’IPA en canette qui rendait la bière tendance et cool auprès des autres. Eh bien ce personnage, bien que caricatural, est devenu un simple stéréotype quand avant il était plutôt vu comme quelqu’un de cool qui casse les codes.

Cet “épuisement” culturel est aussi lié à la dégustation. En effet, les consommateurs éprouvent une certaine lassitude face aux IPA qui saturent l’offre aussi bien aux USA qu’en France. Hazy IPA, Cold IPA, Juicy IPA, Double IPA, Milkshake IPA, Triple IPA etc. C’est une surenchère qui finit par lasser une partie des consommateurs et qui freine la découverte du craft des néophytes encore peu habitués à ce genre de styles. À l’époque où je gérais mon bar, Bière Academy, je me rappelle de clients me demandant des bières classiques, et énormément de brasseries proposées par les distributeurs étaient une liste interminable d’IPA de toutes sortes. Seules quelques brasseries comme par exemple Galibot, parvenaient à proposer les styles demandés par nos clients.

Pour revenir aux USA, bien que la tendance que j’évoque se soit aussi exportée sur l’Europe, on assiste à un véritable retour aux bases des consommateurs, souhaitant retrouver des bières simples, faciles à boire et sans fioritures. En France, le Lyon Bière avait d’ailleurs créé une édition “back to the roots” mais même si elle désignait les prémisses des changements de tendances, l’offre de l’édition restait encore beaucoup sur le format “geek” et les IPA étaient très nombreuses. Du côté de l’Oncle Sam, l’heure est à la bière basique, on ne veut pas d’une bière excitante, originale, on veut un truc léger, peu calorique, à peine goûteux et c’est ainsi que la Michelob Ultra est devenue la bière la plus vendue du pays. Une bière au design sobre, répondant parfaitement à cette nouvelle tendance de consommation.

 

Kelces and Garage Beer Credit to Garage Beer
Les frères Kelces (source : Garage Beer)

 

On appelle cela aussi les “Dumb Beers”, et les frères Kelce l’ont bien compris. En juin 2024, les frères Jason et Travis Kelce, deux figures emblématiques de la NFL, sont devenus co-propriétaires et investisseurs majeurs de Garage Beer Co., une marque de bière originaire de leur État natal, l’Ohio. Jason, légendaire centre des Eagles de Philadelphie récemment retraité, et Travis, célèbre tight end des Chiefs de Kansas City toujours en activité, ont choisi cette Lager légère (Light Lager) classique pour leur premier investissement commun. La bière, qui titre 4 % d’alcool pour 95 calories et se décline en saveurs Classic et Lime, est promue avec le slogan « Beer Flavored Beer » (De la bière qui a le goût de bière) pour son côté simple et accessible. L’objectif de ce partenariat est de transformer cette marque régionale en un produit distribué à l’échelle nationale aux États-Unis. Les deux frangins résument d’ailleurs très bien leurs intentions auprès des médias en disant littéralement : “Nous essayons juste d’être la bière la plus bête sur Internet”.

Les deux frangins résument d’ailleurs très bien leurs intentions auprès des médias en disant littéralement : “Nous essayons juste d’être la bière la plus bête sur Internet”.

 

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Source : Gemini

 

Le plafond de verre est-il atteint aux USA ?

Le boom culturel évident de la craft américaine a créé une véritable saturation économique. On assiste à une suroffre liée aux près de 9500 unités en activité dans le pays rendant la différenciation difficile et très coûteuse, surtout pour les derniers arrivés.

Il y a dans ce que je présente, une projection directe à faire sur le marché européen, bien que les USA soient en avance, notre marché local se métamorphose plus vite que l’ont fait les Américains et les parallèles commencent à se dessiner d’ores et déjà. L’inflation et les difficultés financières, notamment Post-Covid, ont contraint le public à revoir ses dépenses et étant donné que les bières artisanales sont de base plus chères que leurs consœurs industrielles, la coupe budgétaire a été facile à décider pour le public classique. Et c’est là qu’une nouvelle tendance se dessine : le “sous-premium”, c’est-à-dire passer d’un produit craft premium à la gamme en dessous.

Dans un récent article sur Vinepair, que je vous fournis en source, Dave Infante soutient que cette contraction est non seulement inévitable mais aussi nécessaire. Selon lui, la croissance incontrôlée du craft américain a permis à de nombreuses brasseries de saturer le marché avec des produits médiocres, instables etc… et donc occuper de l’espace sur les étagères. Toujours selon lui, la rationalisation qui se crée aujourd’hui serait donc simplement une sorte de sélection naturelle du marché qui se purge par lui-même pour ne faire rester que ceux qui ont su se concentrer sur la qualité plutôt que la quantité.

Si l’analyse de Dave Infante lui est propre et peut ne pas convenir à tout le monde, elle n’en reste pas moins pertinente. Le lien entre la crise économique d’une part, et l’épuisement du consommateur est direct. Le boom de la craft a créé une surenchère ayant mené à une saturation, tandis que les prix n’ont eu de cesse d’augmenter (surtout chez les IPA). Le consommateur, quant à lui, n’a plus les moyens de s’offrir des packs à 25$ et préfère se résigner à des bières ennuyeuses à 10$ le pack à la place. La lager revient comme une valeur sûre alors qu’on aurait pu croire que le public allait se lasser pour de bon de ce style-là par exemple.

 

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Source : Gemini

 

S’adapter ou mourir

La correction du marché américain reflète un profond changement du paysage concurrentiel. Si avant la bière artisanale indépendante ne devait se battre que contre les industriels, elle doit désormais compter sur de nouveaux ennemis et défis dont le palais saturé de ses buveurs et leur portefeuille allégé.

Il devient donc nécessaire de s’adapter si l’on veut pouvoir survivre pour de bon. Aujourd’hui, les concurrents alternatifs se positionnent contre la craft, et à cela on peut en citer 3 qui font de l’ombre aux brasseries américaines :

  • Les Cocktails prêts à boire (ou Ready to Drink) et Hard Seltzers : si trouver des canettes de Coca Cola & Jack Daniel’s ensemble était surprenant il fut un temps, il faut désormais compter sur ces produits en canettes plus variés qui deviennent un concurrent sérieux pour les brasseries. Des coûts moins élevés selon les marques, des goûts sucrés et moins caloriques, ces produits marquent la tendance chez les plus jeunes (même si en France les Hard Seltzers ont fait un énorme flop).

 

  • Les boissons au THC : Impossible pour le moment en France, les boissons infusées au THC proposées dans les états ayant légalisé le cannabis deviennent un concurrent majeur pour la craft sur le secteur de la consommation “détente”.

 

  • Le sans alcool : identique à ce que nous connaissons chez nous, les consommateurs se soucient plus de leur santé, ils ne cherchent plus forcément l’enivrement, et bon nombre d’unités doivent désormais créer un produit sans alcool ou peu alcoolisé pour maintenir sa clientèle initiale mais aussi attirer les nouvelles générations de consommateurs.

Les brasseries doivent donc s’adapter et établir de nouvelles stratégies, et pour cela, plusieurs solutions existent.

  • Devenir plus qu’une simple brasserie : se diversifier dans le produit, créer aussi du Hard Seltzer (comme l’a fait Brewdog), du soft ou encore de la bière sans alcool à travers une gamme élargie quand cela est possible.

 

  • Retour sur les fondamentaux : abandonner les brassins “geeks” ou “extrêmes” et se reconcentrer sur des recettes plus classiques. Plébisciter les Pilsner et Lagers pour proposer du produit peu cher et d’une grande buvabilité. Le côté premium ne passe plus par du produit complexe mais un produit simple et bien fait. Les bières plus complexes sont reléguées en arrière-plan, voire carrément abandonnées dans une nouvelle orientation stratégique.

 

  • Créer une taproom : véritable fer de lance de toute brasserie qui cherche à faire du profit, la vente directe reste un moyen efficace de gagner plus sans efforts par rapport à la vente en B2B. Les marges sont meilleures, le lien avec le client est plus simple, et le feedback est direct. Avoir un lieu à soi est donc primordial pour toute brasserie qui souhaite pouvoir augmenter ses ventes tout en créant une véritable communauté. À cela, ajouter une offre de nourriture pour ancrer le client est indispensable. Beaucoup de brasseries deviennent aussi des pizzerias, des bars à sushis ou excellent dans l’art du Smash Burger.

 

  • Plébisciter la qualité avant la nouveauté : Si avant la rotation constante était de mise, comme nous l’avons vu, le client US s’est lassé et les nouveautés ont aussi baissé en termes de panache il faut l’avouer. Les brasseries vont donc se concentrer sur les bières dites de confiance (trusted flagship en anglais). Mieux vaut proposer sans rupture une gamme classique de haute qualité, que de se concentrer sur des nouveautés souvent bâclées faute de temps pour affiner la recette.

En gros, c’est une véritable rationalisation qui se crée sur le marché américain, et le marché se polarise. D’un côté on a les brasseries craft les plus costaudes qui arrivent à s’adapter à grande échelle, et de l’autre, les unités ultra locales qui parviennent à tenir grâce à leurs taprooms.

Entre les deux, on a quelques brasseries qui parviennent à se distribuer en régional mais n’ont pas les moyens d’aller en frontal face aux plus gros, et n’ont pas les moyens de proposer un lieu de consommation. C’est un modèle économique de brasserie qui est sans nul doute le plus menacé à ce jour, et peu parviennent à tenir jusqu’à pouvoir investir sur un lieu ou une augmentation conséquente de production.

 

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Source : Gemini

 

Quid du marché européen ?

Un marché différent ?

Si les parallèles sont clairement trouvables entre ce que nous avons vu plus haut et le marché UE, il y a tout de même des contrastes à ne pas oublier. Le marché européen, malgré la conjoncture, reste en croissance.

Cette croissance se manifeste par des facteurs qu’ont connus les USA il y a une décennie de cela : des consommateurs en quête de boissons premium, de l’innovation, du local et un marché de plus en plus ouvert aux femmes (et de la bonne manière).

Cependant, cette croissance n’est pas non plus le reflet d’un marché tout beau tout rose, le marché est, sans mauvais jeu de mots, sous pression constante. Les exportations sont en baisse, les coûts de production augmentent, et la crise économique frappe aussi les consommateurs. Depuis le COVID, le secteur CHR a eu du mal à se remettre, alors que ce secteur est primordial pour les brasseries indépendantes. Énormément de structures CHR ne se sont pas remises du COVID et ont fermé, faisant baisser la consommation de bière dans tout le secteur.

Il est à noter également que le grand boom des ouvertures de brasseries en Europe semble avoir atteint ses limites. Les chiffres semblent stagner à peu de choses près entre 2023 et 2024 selon le rapport European Beer Trends. Bien loin devant l’expansion de ces dix dernières années donc.

Là où le marché UE se rapproche de manière synchrone avec le marché US c’est sur le sans alcool. Le marché du sans alcool et du low alcohol est en nette progression, les tendances de consommation sont identiques entre les deux marchés. Mais est-ce le seul point sur lequel l’Europe se rapproche du marché américain ?

L’Europe fait face à une réelle contradiction, son marché est en croissance, mais globalement, le secteur est en difficulté et le nombre de brasseries stagne (voire diminue si on regarde les stats de certains pays). En principe, on considère à ce jour que l’écart de tendance entre le marché US et le marché UE est de l’ordre de 5 à 7 ans, or, l’écart semble se réduire de plus en plus rapidement. La fameuse rationalisation du marché vécue par les Américains semble imminente en Europe désormais, voire elle a déjà commencé dans certains pays comme en France sur pas mal de points.

Nous l’avons vu, le modèle de la taproom aux USA est un business model très important pour survivre, surtout face à un secteur CHR défaillant actuellement. Il en va de même en Europe où l’écart se creuse et où beaucoup de brasseries, anciennes ou nouvelles, investissent dans un espace de dégustation et d’accueil pour le public. Les brasseries ne peuvent plus compter sur la vente en B2B auprès du CHR, pour survivre il faut se diversifier et/ou proposer une offre locale à consommer sur place.

 

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Source : Gemini

 

Une rationalisation française déjà enclenchée ?

Si l’on met la loupe sur l’hexagone, on peut voir que la tendance nationale se démarque de celle en Europe. En effet, avec le plus grand nombre de brasseries en Europe, le marché arrive à maturation plus rapidement, suivi de près par des britanniques très influencés par leurs cousins américains. En France, le modèle des taprooms devient une évidence, et si on ne peut pas se permettre une taproom il faut trouver d’autres moyens de se diversifier (consulting, beer trucks, formations etc…).

Sur le papier, il semble pourtant que la France soit sur une pente descendante par rapport à son marché, pourtant, le verre n’est pas forcément à moitié plein. Certes, une vague de fermetures a démarré, le SNBI avait d’ailleurs sonné l’alarme en 2024 prévoyant que 10% des unités existantes allaient fermer leurs portes. Un récent sondage avait par ailleurs révélé que 67% des brasseries considèrent que leur entreprise est en mauvaise santé financière, notamment à cause des conséquences post-Covid et du conflit en Ukraine.

Il faut dire que tout a augmenté en même temps, carton, malts, houblons, bouteilles…. Il a fallu s’adapter, se réorganiser, et en temps de crise il est compliqué d’être flexible. Ces crises ont malgré tout abouti à de nouvelles tendances de production : le retour de la consigne, la location de fûts, le retour aux houblons locaux, le développement de malteries et houblonnières etc… sans compter les différents échanges sur les forums pour tenter de grappiller quelques euros sur sa consommation d’énergie et d’eau.

Le récent amendement permettant désormais aux brasseries de pouvoir proposer, comme les vignerons, sans licence, de faire déguster sur place leurs productions est clairement le reflet que l’implantation d’une Taproom est essentielle. De mon propre chef, je vois parmi beaucoup de brasseries autour de moi cette tendance changer, des brewpubs intégrant une cuisine comme au Keg and Can récemment, l’ouverture d’un Brewpub pour Longue Vie en Ardèche, l’abandon des bretts pour se concentrer sur des recettes classiques chez Effet Papillon, le développement de nouvelles taprooms chez Paname ou Meteor à Marseille, bref, désormais on essaie de se concentrer sur l’essentiel et d’éviter au maximum de perdre son énergie sur ce qui est malheureusement en crise.

 

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Source : Gemini

 

“La craft faiblit mais ne se rend pas”

La France reste malgré tout un paradoxe. L’offre est étranglée par les coûts mais la demande augmente. La lassitude américaine de l’IPA ne se fait pas ou que très peu sentir chez nous, au contraire, les IPA de toutes sortes continuent de se vendre, les industriels remplissent les rayons de leurs IPA édulcorées, les styles comme les Hoppy Pilsners ou encore Cold IPA explosent, bref, le houblon reste encore roi au pays de Charlemagne on dirait.

Cela ne veut pas dire que la lassitude n’est pas possible, comme je le disais, à l’époque de mon bar, je constatais tout de même une suroffre des IPA, beaucoup de brasseries ont oublié de faire du classique bien fait et il fallait vraiment creuser pour trouver des références basiques parfois, surtout en période estivale. Pourtant, force est de constater que l’offre en IPA est bien là, ma propre brasserie, Fabrikabul, qui débute à peine sa gamme classique avant de démarrer les séries Beer Lantern Brewing (stay tuned!), se concentre sur la blonde et l’IPA en premier et sur des volumes plus élevés que les autres styles de notre core range qui contient notamment une Triple et une bière fruitée.

Le marché français est aussi en train de se redessiner, outre les rachats récents, comme Gallia et Heineken, Débauche par un groupe industriel agricole, Paname et Pietra, ou les rapprochements comme Newbeers avec Melusine, Page 24 and co, il y a de nouvelles tendances de consommation qui se profilent.

Le sans alcool prend de plus en plus de place, les brasseries se font parfois même violence pour tenter de proposer ce type de produits malgré des soucis de production évidents pour parvenir à créer un produit bien fait quand on connaît les méthodes de désalcoolisation et leurs coûts. Mais cela reste une tendance à ne pas négliger, et quand une brasserie peine à créer un produit sans alcool stable, elle bascule sur du low alcohol maîtrisé lui aussi apprécié par le consommateur.

On peut aussi citer la canette qui se démocratise de plus en plus avec l’arrivée même de grands classiques comme Tilquin sur le marché. La canette a changé son image, même Bavaria a rebrandé sa propre marque pour rendre la bière en canette moins marginale et plus moderne. Citons également les innovations telles que les fameuses “vières”, ces bières hybrides qui cartonnent en export comme on peut le voir avec les camarades de Spo ou Ammonite pour ne citer qu’eux.

Si l’on prend du recul sur la situation française, on reste encore loin de la rationalisation directe que subit le marché Yankee, on est sur une adaptation qui passe par une consolidation par les coûts. On va voir en effet des brasseries fermer, mais nous allons en voir d’autres évoluer et arriver à maturation. Le craft français n’est pas mort et loin de là, il se professionnalise, se normalise, se consolide (parfois par la force des choses), et ceux qui sauront tenir sont surtout ceux qui auront su maîtriser à la fois leur production mais aussi leurs stratégies d’adaptation.

On voit beaucoup de brasseries en fermeture, c’est indéniable, parcourir les pages Facebook comme Brewlaloose en est un reflet exact. Pourtant les fermetures ne sont pas toutes directement liées à une conjoncture post-COVID. Certes, beaucoup n’ont pas su ou pu se relever, mais il y a des fermetures qui ont eu lieu pour d’autres raisons : burnout, lassitude, mauvaise gestion financière, manque d’adaptation au marché, manque d’organisation, erreurs administratives (coucou Bourganel…), revente ou arrêt prématuré pour se préserver, mésententes entre associés etc… toutes ces raisons existent et font aussi partie de cette sorte de “sélection naturelle” liée à ce boom des ouvertures qui se sont faites partout et en même temps avec des acteurs parfois candides, désorganisés ou peu formés au brassage par exemple. Ce que je veux dire dans ce paragraphe, c’est surtout que si le chiffre des fermetures fait peur et peut décourager, il faut aussi rationaliser et comprendre que même si la conjoncture a eu raison de beaucoup de confrères et consœurs, elle n’est pas la seule raison de ces fermetures et que le marché brassicole n’est pas dans un déclin mais plutôt dans une évolution à laquelle il faut s’adapter et c’est là qu’il faut absolument garder les yeux grands ouverts.

 

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Source : Gemini

 

Quel avenir pour la craft ?

Pour revenir à ce que je disais plus haut, d’un point de vue global, le marché n’est pas en bout de course, il est en maturation. Les brasseries (ainsi que les structures telles que les bars ou les caves par exemple), sont soumises aux tendances du marché, à l’économie globale ou encore à une forte concurrence.

Les USA et leur marché peuvent faire peur aux Européens, mais il faut savoir que l’on est sur un marché qui a démarré dans les années 80 et qui aujourd’hui arrive à peine à une véritable restructuration après des années à surchauffer, il se corrige à peine. En France, par exemple, on est sur une autre tendance, la surchauffe n’est pas celle que l’on voit dans le pays de Trump, c’est plutôt une consolidation par les coûts et une professionnalisation du secteur pour lui permettre de mieux fonctionner ensuite.

Cela ne veut pas dire que tout va bien, je fais partie de ces brasseries qui débutent et essuient les difficultés, qu’elles soient conjoncturelles, administratives ou commerciales, mais la pérennité doit passer par la maîtrise de plusieurs éléments.

  • Maîtriser son portefeuille : on ne peut plus se contenter que de faire un seul truc, comme par exemple des IPA. Il faut pouvoir proposer des produits accessibles (Lagers, Pilsners..), une offre sans alcool ou faiblement alcoolisée mais il faut garder une part conséquente de produits innovants et complexes. C’est là qu’il convient de créer des séries sous une marque différente par exemple, de créer une gamme GMS, un core range basique etc… et surtout, adapter ses volumes. Si l’on a plus de ventes sur le basique que l’innovant, mieux vaut revoir ses volumes de production pour éviter un déséquilibre de son offre par rapport à la demande.

 

  • Maîtriser ses coûts : comme je le disais, beaucoup de fermetures viennent aussi bien de l’ère Post-COVID qui a fragilisé des unités déjà en difficultés, mais cela vient aussi d’erreurs de gestion et de stratégie. Il faut donc rester en veille, passer à la canette, au fût inox, revoir ses approvisionnements en houblons et malts, mutualiser ses achats et sa logistique. Bref, il faut parvenir à créer une synergie cohérente de ses coûts, que ce soit en maîtrisant ses consommations ou en mutualisant avec des groupements locaux ses achats.

 

  • Maîtriser l’expérience client : ici je parle bien entendu de la fameuse taproom. Faire un brewpub, une taproom, ouvrir un bar à plusieurs, bref créer un lieu d’expérience unique qui vous est propre et dans lequel vous pourrez maîtriser vos marges, les retours clients et fidéliser surtout vos consommateurs. Certes, ceci est plus facile à dire qu’à faire, les enjeux sont nombreux et les coûts aussi. Il faut pouvoir sortir de sa zone de confort, un brasseur / brasseuse n’est pas un barman / barmaid, c’est un autre métier. Il faut que cela soit cohérent avec sa vie personnelle pour éviter les burnouts, il faut savoir déléguer, surtout si l’on n’a pas ou peu de capacité à manager l’humain. C’est avant tout une évolution presque vitale pour une brasserie qui veut durer, mais elle nécessite une réelle adaptation et prise de recul car on touche aussi un autre corps de métier.

 

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Source : Gemini

 

En conclusion

Ce très long article, que je rédige depuis un moment déjà, me permet surtout ici de tenter de prendre le recul nécessaire sur les tendances de marchés qui se dessinent. Tout va à cent à l’heure, les achats et rachats se multiplient, les fusions se créent, les groupements aussi, de nouveaux métiers arrivent, de nouvelles normes sont créées, bref, le secteur s’organise et se professionnalise pour de bon.

Le constat que je fais est qu’il est quasi impossible de concurrencer les gros industriels, mais cela n’empêche pas de les contourner via d’autres canaux comme tous ceux que j’ai cités. Dans un marché aujourd’hui en saturation de l’offre, il convient de pouvoir réellement se démarquer avec une stratégie bien huilée et une veille assidue. Ce n’est pas à celui qui sera le plus fort mais celui qui sera le plus malin. La tendance de consommation que je cite est globale, but elle doit aussi varier selon les lieux, et c’est à la brasserie de savoir s’adapter.

Si cet article vous a plu et que vous voulez en discuter, n’hésitez pas à me contacter par mail ou à consulter mon site de consulting brassicole à cette adresse : Snowball Effect.

 

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Source : Gemini

 

Sources :

Greg
Marseillais amateur de bières, je vais vous faire découvrir cette boisson à travers son histoire, des dossiers, de l'actu et enfin des tests de bières diverses et variées!

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