Tant qu’à parler des femmes qui parviennent enfin à se faire entendre dans le secteur brassicole, autant continuer sur notre lancée et parler d’une femme qui, historiquement a beaucoup compté pour la bière mais pas que. On va donc parler de Hildegarde de Bingen et de son rapport avec le houblon de manière plus précise que lors de mon article dédié au houblon qui ne faisait, au final, qu’effleurer le sujet.
Petit rappel rapide sur le houblon
Avant toute chose, on va faire un léger rappel sur le houblon pour celles et ceux qui ne savent pas trop ce que c’est. Le houblon c’est une plante grimpante qui possède des cônes au bout. Ce sont ces petits cônes qu’on utilise en gros pour brasser. Il en existe plusieurs centaines de variétés, certaines naturelles, d’autres créées et brevetées qui sont protégées (ceci permet à une variété de n’être cultivée qu’à un seul endroit et ainsi éviter les copies comme on le trouve avec le savon de Marseille fabriqué en Turquie par exemple).
Le Houblon est cultivé dans des houblonnières, on en trouve de plus en plus en France désormais, comme la ferme de Midgard que nous avions découverte ensemble récemment. Les houblonnières sont également soutenues par le collectif Houblon de France, lui aussi abordé sur le site il y a quelque temps de cela. Le houblon est utilisé dans la bière mais aussi dans l’Homéopathie, la cosmétique, ou encore les huiles essentielles.
Avant Hildegarde de Bingen, le houblon était déjà une plante qui avait été étudiée dans l’antiquité par Pline l’Ancien en 79 dans son encyclopédie, avant de disparaître à Pompéi suite à l’éruption du Vésuve. Dans ses ouvrages, toutefois, Pline l’ancien ne cite le houblon que comme un accompagnement culinaire et non pas une plante destinée à un quelconque liquide, de même que ses vertus sont encore inconnues à l’époque.
Pline l’ancien nomme cette plante “Lupus Salictarius” et se décrit ainsi dans son ouvrage : “..Quand la plante se développe parmi les osiers, elle les étrangle en grimpant par ses étreintes légères, comme fait le loup à un mouton….” On suppose que la plante en question était bel et bien le houblon (l’allemand Leonhart Fuchs, en 1542 en fera le rapprochement dans l’un de ses ouvrages botaniques), dont le nom latin se traduit chez nous par “Loup” (Lupulus étant aussi un diminutif de Lupus). En France, il faudra attendre 1407 pour voir le terme “Houbelon” apparaître, avant de devenir quelques années plus tard le mot Houblon que l’on connaît. L’origine française du nom viendrait du mot “hoppe” qui était un mot utilisé dans les parlers du Nord ainsi qu’en Wallonie et qui signifierait “bière houblonnée”. Si vous avez suivi, le mot anglais n’est pas loin de cela puisque le houblon se dit “hop” dans la langue de Shakespeare.
L’utilisation de houblon dans la bière ne date pas spécifiquement de Hildegarde de Bingen d’ailleurs. Il faut savoir qu’avant cela, la bière était fabriquée avec de nombreuses plantes différentes, les recettes étaient variées et le houblon a sans nul doute était utilisé depuis plus longtemps qu’on ne le pense. En 822 l’abbé Adalard de Corbie mentionne, dans l’un de ses ouvrages, l’utilisation de houblon dans la bière (cocorico c’est en Picardie!). C’est à ce jour, l’une des premières mentions connues du houblon dans la bière, mais nous ne sommes pas sur l’utilisation actuelle dont les avantages ne sont pas encore connus à l’époque.
L’arrivée de Hildegarde de Bingen
Mais alors du coup, qui était Hildegarde? C’était une religieuse bénédictine considérée comme la première naturaliste d’Allemagne qui a écrit de nombreuses choses dans le domaine. En plus de ses travaux de naturaliste et de botanique, elle a aussi écrit des compositions musicales, des textes théologiques, des essais scientifiques, sans compter les ouvrages médicaux.
Son cas est assez unique car à son époque (née en 1098 et morte en 1179 à 81 ans) le système patriarcal était encore plus lourd que celui que nous connaissons actuellement. Pourtant, ses travaux furent conservés, elle avait une autorité importante et les hommes l’écoutaient. C’était une personne qui ne se laissait pas faire et dont le savoir forçait le respect.
A ce jour, elle est ce qu’on peut dire, une figure proto-féministe, une femme forte, instruite qui ne se laissait pas faire et qui était respectée, fait rare à cette époque. Ses travaux perdurent encore de nos jours et, en plus d’être une figure ancienne du féminisme, elle est aussi reconnue dans le domaine de la naturopathie, certains naturopathes se faisant appeler “naturopathes hildegardien”.
Mais alors, me direz-vous, à quel moment Hildegarde parle de bière? Et bien c’est un peu plus compliqué que cela en vérité…
Houblon et Hildegarde
On associe souvent à tort Hildegarde de Bingen comme la découvreuse du houblon, un peu comme Christophe Colomb qui a découvert l’Amérique. En vérité, comme vous avez pu le lire, elle n’a pas du tout découvert le houblon, puisqu’il est déjà mentionné par Pline l’ancien, officiellement, mais sans doute avant dans l’histoire bien qu’aucune source réelle ne soit antérieure à celle connue pour le moment.
En fait, le houblon et la bière comme je vous le disais, ça ne date pas d’hier, mais les mentions de celui-ci en 822 ne nous disent pas pourquoi il était dedans. On suppose de par les bières de l’époque qu’il avait une vertu aromatisante mélangé avec d’autres plante, mais il n’était nullement utilisé comme aujourd’hui, et donc pour les mêmes raisons que nous allons aborder. En vérité, on ne peut prouver, à ce stade, si le houblon était cultivé pour la bière avant son entrée officielle dans la recette de celle-ci. Le houblon était probablement cultivé auparavant pour orner des jardins par exemple, utilisé pour de la cuisine comme le suppose les textes de Pline l’ancien, mais pas encore cultivé pour la bière, et encore moins de manière à être commercialisé.
Hildegarde de Bingen mentionne le houblon dans son ouvrage Physica Sacra vers 1150 de cette manière : “Elle est chaude et sèche et a une humidité modérée, et n’est pas très utile à l’homme car elle fait croître la mélancolie dans l’homme et rend l’âme de l’homme triste et alourdit ses organes internes. Mais pourtant, en raison de sa propre amertume, il garde certaines putréfactions des boissons, auxquelles il peut être ajouté, afin qu’elles puissent durer beaucoup plus longtemps.”
Elle poursuit un peu plus loin : “Si vous aussi vous souhaitez faire de la bière à partir d’avoine sans houblon, mais juste avec du gruit, vous devez la faire bouillir après avoir ajouté un très grand nombre de feuilles de frênes. Ce type de bière purge l’estomac du buveur et rend son cœur léger et joyeux”.
On constate donc que Hildegarde a décelé certaines vertus du houblon, notamment ses vertus aseptisantes. Hildegarde savait faire de la bière, et savait faire des recettes, c’est ainsi qu’elle a pu faire ses découvertes. Il faut comprendre que si le houblon, n’avait jusque là aucune utilité pour la bière, c’est parce qu’en gros, les résines amérisantes et conservatrices sont peu solubles a moins de créer une longue ébullition d’environ 90 minutes. A l’époque on ne faisait pas cela, surtout dans la bière car faire bouillir de l’eau en grande quantité aussi longtemps devenait vite peu rentable pour celle ou celui qui brassait à l’époque (temps, combustible etc..). En fait, on ne sait pas réellement qui a réellement découvert que le houblon apportait de l’amertume et une meilleure conservation de la bière. Même si Hildegarde le met à l’écrit, après ses recherches, cela ne veut pas dire qu’elle a pu découvrir par elle même cela. Non pas que l’idée est de discréditer son travail, bien au contraire, mais on suppose que “la puce à l’oreille” proviendrait d’un événement extérieur (on parle parfois d’un teinturier qui aurait pu découvrir l’amertume du houblon en faisant bouillir celui-ci plus de 90mn pour teindre un tissu) qui serait parvenu auprès de Hildegarde qui a travaillé dessus pour poser par écrit, et avec moultes recherches la confirmation des vertus du houblon.
L’après Hildegarde
Comme nous le disions, les travaux de Hildegarde étaient reconnus, et elle disposait d’une sorte d’aura puissante de par son travail. Elle dirigera même un couvent tout en finissant comme Docteur de l’église, chose extrêmement rare. Une fois que ses travaux eurent été publiés, son passage mentionnant les vertus du houblon fut mis en application par quelques brasseurs pour ensuite très vite se démocratiser. N’oublions pas un détail, Hildegarde est allemande, et l’Allemagne et la bière font très bon ménage, renforçant le sérieux pris aux écrits de notre chère Nonne Bad-ass.
Ce seront donc les Allemands qui vont utiliser le houblon en premier pour ses vertus, suivi de peu par la Flandre et enfin les Pays Bas qui apporteront à leur tour des bières houblonnées en Angleterre. Les Anglais, quant à eux, hésiterons un petit moment avant de faire des bières houblonnées, le houblon sera surtout importé avant d’être finalement cultivé aux alentours du 16ème siècle supposément dans le Kent.
Les vertus du houblon eurent un tel succès que les Allemands l’ont inclus dans leur loi de pureté, et jusqu’à aujourd’hui désormais, le houblon est utilisé 99% du temps dans la bière. C’est vers le 20ème siècle que le houblon sera cultivé de façon industrielle et, avec les avancées technologiques en botanique, de créer des variétés qui se chiffrent à plus de 200 de nos jours.
En conclusion
Cet article aura permis, par le biais de ce que vous aurez lu et les sources ci-dessous, de voir que très souvent l’histoire fait des raccourcis et qu’ils sont propagés à vitesse grand V. On s’aperçoit au final, que bien souvent on place Hildegarde comme une simple nonne qui a découvert le houblon, or, elle est non seulement une très grande figure féminine sur bien des aspects de ses oeuvres, mais elle a fait plus que simplement découvrir le houblon qui était déjà connu et utilisé, elle a trouvé l’utilité de celui-ci.
Ses œuvres auront permis d’aboutir aux recettes de bières que nous connaissons aujourd’hui, donnant au passage à la bière non seulement une meilleure base conservatrice, mais aussi des vertus jusque-là insoupçonnées qui confirment sa consommation à la place de l’eau, vecteur de maladies à l’époque.
A l’heure où la parole des femmes se fait entendre réellement, il était important aussi de pouvoir parler d’une figure féminine historique liée à la bière, prouvant une nouvelle fois que oui, les femmes sont capables de grandes choses, n’en déplaisent à certains.
Si vous voulez en savoir plus, je vous invite à consulter les sources ci-dessous qui vous permettront d’en savoir un peu plus sur Hildegarde de Bingen et son œuvre.
Sources :
https://www.herodote.net/_La_preuve_que_Dieu_nous_aime_-synthese-613.php
https://abbetrappiste.com/2016/06/27/hildegarde-von-bingen/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Hildegarde_de_Bingen
https://www.franceculture.fr/histoire/hildegarde-de-bingen-guerisseuse-visionnaire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Houblon
https://www.happybeertime.com/blog/2014/05/15/13-choses-savez-probablement-pas-houblon/
https://bc.thegrowler.ca/features/beerstory-101-st-hildegard-of-bingen/
https://theunrulymystic.com/beer/saint-hildegard-and-the-usefulness-of-hops-cheersr/
https://brookstonbeerbulletin.com/historic-beer-birthday-hildegard-of-bingen/
https://philatelie-pour-tous.fr/le-houblon/
3 Replies to “Houblon et Hildegarde de Bingen”