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L’évolution des mentalités face aux bières sans alcool

Vous voyez fleurir un peu partout des bières sans alcool dans vos caves et vos supermarchés, et pour cause, le marché a, depuis quelques années, pris une ampleur considérable en comparaison des autres années. La raison est multiple, nous allons voir plus en détails que les bières sans alcool existent depuis longtemps, mais que leur image a été longtemps écornée par divers clichés, tout comme leur goût a été longtemps mis de côté au profit du volume de vente. 

Mais avec l’engouement pour celles-ci et l’arrivée des brasseries artisanales dans le mouvement, on assiste à une petite révolution brassicole du « zéro alcool”, alors je vous propose d’analyser ensemble ce type de bière souvent mis de côté au profit de bières classiques voire très alcoolisées. 

 

Depuis quand ça existe?

Le concept de la bière sans alcool, tout du moins à faible taux d’alcool, ça existe depuis au moins l’Europe médiévale, on appelait ces bières des Petites Bières. Il faut savoir que beaucoup de bières dites archaïques avaient des taux d’alcool assez faibles (2 à 3%), je vous parle ici de bières très anciennes comme celles d’Egypte par exemple

Cependant, les recettes faisaient des bières faiblement alcoolisées, mais la volonté de réduire le taux d’alcool, lui, n’existait pas, parce que la technologie ne permettait pas de mesurer le taux d’alcool avant la fin du 19è siècle et la ribambelle d’évolutions techniques qui ont suivi. 

La volonté de créer des bière sans alcool date surtout du début de la prohibition aux USA, période assez folle sur laquelle nous reviendrons plus longuement en détail. En 1917, le président Wilson proposa tout d’abord une limitation à 2.75% de teneur en alcool pour les boissons maltées, afin d’apaiser les pro-prohibition qui commençaient sérieusement à prendre du gallon dans l’opinion publique. 2 années plus tard, en 1919, le Congrès approuve le Volstead Act, limitant la teneur en alcool de toutes les boissons à 0.5%. Une année plus tard, la prohibition démarrera, au grand dam des buveurs d’alcool et du secteur concerné. 

La prohibition durera 13 ans, des années durant lesquelles certaines brasseries continueront à officier sur des bières sans alcool, tandis que d’autres iront sur d’autres activités, pendant que certains fermeront définitivement. Sans oublier les conflits créés par cette période, notamment avec la mafia et la contrebande qui permettent à certains personnages mythiques et peu recommandables comme Al Capone de paraître au grand jour et de devenir les gangsters que l’on connaît aujourd’hui. Mais encore une fois, nous reviendrons en détail sur ce sujet ultérieurement sur le site…

La bière sans alcool, une fois la prohibition terminée s’est quelque peu perdue, on en produisait toujours mais à de très faibles volumes, l’heure était à la fête, tandis qu’ailleurs dans le monde, on était plutôt occupés à reconstruire après la seconde guerre, que se préoccuper de ce genre de questions. Il faudra attendre les années 80 et 90 pour que les prises de consciences sur l’alcoolisme reviennent sur la table.

 

 

Mais comment fabriquer une bière sans alcool?

Sans aller loin dans la technique, sachant que je ne suis pas un brasseur moi même, on compte plusieurs méthodes. Sachant avant toute chose, que la bière sans alcool est brassée comme n’importe quelle bière, c’est au moment de l’embouteillage que le processus de baisse du niveau d’alcool s’enclenche en fait. 

On expose la bière à une très forte chaleur, sachant que l’alcool dispose d’un point d’ébullition inférieur à l’eau, le brasseur fait chauffer jusqu’à ce que la quantité souhaitée d’alcool reste. Une méthode efficace mais qui altère les saveurs du breuvage final. 

Pour remédier à cette perte de saveur, on pratique parfois une distillation sous vide. En gros on abaisse le point d’ébullition de l’alcool pour que les produits volatils soient moins affectés, ce qui permet à des composants comme les acides alpha du houblon de rester et donc d’avoir un goût plus proche de la bière classique. 

On peut citer aussi l’osmose inverse, méthode utilisée notamment pour dessaler l’eau de mer. En gros, on passe la bière à travers un filtre si fin que seuls l’alcool et l’eau peuvent y passer (ainsi que certains acides volatils cependant). Une fois le filtrage effectué, le brasseur injecte de la carbonatation avec du dioxyde de carbone. C’est à ce jour la méthode la plus efficace car elle permet de limiter au maximum la perte des saveurs de la recette originale. C’est toutefois une méthode encore peu pratiquée car elle nécessite du temps, de la main d’œuvre et un équipement adapté. 

Enfin, une bière sans alcool ne fermente pas en bouteille, afin de ne pas faire augmenter le taux d’alcool une fois celle-ci embouteillée. 

 

 

L’image de la bière sans alcool

On associe trop souvent la bière sans alcool à une mauvaise chose, c’est un marché assez limité déjà (moins de 2% à la base), et pourtant la bière sans alcool ou à faible taux d’alcool n’est pas du tout une mauvaise chose. 

D’un point de vue social, la bière, et toute forme d’alcool, est un peu quelque chose de ritualiste, on a des rites de passages liés à l’alcool, et ce, depuis tout temps. Une personne qui ne boit pas, en dehors de toute conviction religieuse bien sûr, est considérée à tort comme n’étant pas enjouée, triste, faible et j’en passe… On associe la consommation de produits non alcoolisés à un côté rabat-joie, voire antisocial alors que l’alcool, lui, est vu comme un lubrifiant social. 

Il faut comprendre que jusqu’à présent, on associait à tort la bière sans alcool à un substitut pour les personnes alcooliques, et je parle de ceux qui se rendent malades avec cela et décident bon gré, mal gré, de s’en sortir. Car oui, on parle bière, mais l’alcoolisme c’est aussi une réalité, et bon nombre de consommateurs, en sont plus ou moins affectés.

J’ai souvent vu des consommateurs et brasseurs pousser leur consommation à l’excès. Des brasseurs, des cavistes ou de simples clients qui ont sombré dans la spirale de l’alcool au point de mettre à mal, voire de détruire leur environnement personnel et professionnel. Si je parle de cela c’est aussi parce que l’alcoolisme est une réalité sur laquelle il ne faut pas détourner le regard, je vois trop souvent des gens se qualifier d’épicuriens quand ils sont tous les soirs fortement éméchés. Non, boire de l’alcool “cher” quotidiennement ne fait pas de vous un épicurien, il fait de vous un alcoolique. L’alcoolisme n’a ni race, ni religion, ni classe sociale. On associe justement l’alcoolique a celui qui consomme de l’alcool pas cher et en grande quantité, comme les fameuses “bières de clochards” dont le nom m’amusait plus jeune, mais m’agace désormais quand je pense, avec un certain recul et une certaine maturité, aux nombreux sans abris qui ont basculé dans une spirale infernale et essaient de s’en sortir. 

Le but de mes propos n’est pas de vous jouer les moralisateurs et les rabat-joies, mais vous montrer la valeur sociale accordée à l’alcool, et la pression (sans mauvais jeu de mot) que l’on mets sur celui qui ne boit pas ou peu sur sa valeur au sein d’un groupe. Ceci démontre donc pourquoi la bière sans alcool est mal vue au départ car associée à un substitut pour alcoolique notoire alors qu’en fait c’est complètement faux de penser cela et pour cause! 

 

 

Une évolution des mentalités

Les années 90 ont vu venir de nombreuses campagnes sur la sécurité routière et les nombreux incidents liés à l’alcool au volant. Les autorités ont resserré les vis et se montrent de plus en plus sévères (permis à points, amendes élevées etc…). Les méfaits de l’alcool et du tabac sur l’organisme a lui aussi été mis en lumière, et les gouvernements ont, plus ou moins réagi en conséquence (on est pas dupes non plus des lobbying créant les lenteurs d’actions que l’on connaît, sans pour autant jouer les complotistes). 

Si dans les années 70-80-90 l’heure était à se baffrer n’importe comment, coucher sans protection, ou fumer comme des pompiers, le début des années 2000 avec l’essor d’Internet et des influenceurs qui sont arrivés une décennie plus tard a mis en lumière cette fois-ci le mieux vivre, le yoga, le fitness, les régimes alimentaires, le circuit court, l’écologie etc…. La culture du paraître notamment est devenue plus intense, les gens, hommes ou femmes (ou autre genres) ne jurent plus que par ce qu’ils vont donner sur les réseaux, et on a vu ainsi fleurir des tas de comptes Instagram de gens qui suivent des régimes stricts et donc sans alcool. 

Au delà du physique, la santé aussi y est pour quelque chose, on a commencé à voir les dégâts de l’alcool et du tabac sur les gens après des années d’insouciance et de laisser aller qui ont rempli les poches des industries de l’alcool, du tabac ou de la malbouffe parmi les plus évidents. L’heure n’était plus à la fête, les états providence saturent financièrement à payer les soins des diverses victimes de l’alcool et du tabac (cancers, pneumonies, cirrhoses etc…) et les gens qui ont un système de soin moins avantageux, comme aux USA, ne veulent pas s’endetter pour se soigner non plus. On a donc ici un basculement de la mentalité, bien que la surconsommation d’alcool existe toujours, celle-ci a fortement ralentie au profit d’une certaine raisonnabilité liée à des craintes pour sa santé mais aussi son portefeuille. 

 

 

La bière sans alcool se démocratise

Aujourd’hui la bière sans alcool n’est plus vue comme une mauvaise chose, les femmes enceintes en prennent, les gens qui conduisent aussi, et même certains sans raison particulière si ce n’est ne pas vouloir trop s’enivrer lors d’une soirée. 

Il n’est pas rare désormais de croiser une personne avec des bières sans alcool. Avec la révolution brassicole artisanale, les brasseurs ont commencé eux aussi, à la demande de nombreux clients, à concevoir des bières sans alcool. Ainsi, depuis quelques années on voit arriver des Nanny State de chez Brewdog, mais aussi des Sour sans alcool comme Deer Bear, une gamme complète chez Frog (testée ici chez mon ami Yann du Sous Bock) des Stout sans alcool de la débauche, la superbe Point Five des Polonais de Funky Fluid et même des brasseries entièrement dédiée au sans alcool comme la brasserie Edmond! 

Alors bien sûr, si de plus en plus de brasseurs essayent d’intégrer dans leur gamme, une bière sans alcool, il faut aussi que la recette fonctionne, et que le côté “artisanal” se ressente. Les brasseries industrielles ont déjà emboîté le pas depuis quelque temps. Les gammes classiques existent depuis toujours (Buckler, Tourtel etc..) mais on avait encore rarement vu des versions 0% de Heineken par exemple, c’est tout récent sur le marché. 

Il faut savoir qu’une bière sans alcool n’est pas soumise aux mêmes règles d’un pays à l’autre. En France la bière doit être inférieure à 1.2%, mais certains pays peuvent avoir des taux situés entre 0.5% et 2.5% par exemple. De même, selon certaines religions, notamment la religion musulmane, selon les pays, la tolérance est plus ou moins ouverte à certaines boissons. En principe, les bières à moins de 1% sont tolérées dans certains endroits, et les bières à 0% peuvent parfois être appelées Hallal. On retrouve certaines bières sans alcool dans certains pays musulmans comme en Iran avec la Delster par exemple. 

 

 

Oui mais les bières sans alcool ça manque de goût non?

Les industriels ont déjà produit leurs versions sans alcool, mais force est de constater que déjà que leurs bières sont peu aromatiques, les versions sans alcool le sont encore moins. Souvenez-vous, plus haut je vous expliquais que selon les techniques, on perds en saveur et donc en densité et corps lors de la dégustation, c’est valable aussi pour le craft. Comment y remédier alors?

Il faut élaborer des recettes plus complexes qu’une simple blonde. Si la recette de base perd en saveur, il faut donc pouvoir compenser! Ainsi on se retrouve, en dehors de classiques, avec des bières sans alcool de style Stout, ou Sour, incorporant des ingrédients tels que des fruits dans le brassage pour donner plus d’arômes et donc de corps à celle-ci. Citons la bière passée récemment, Free Panda de Deer Bear, qui pouvait, à l’aveugle, passer pour une Sour classique alcoolisé tant son contenu était équilibré et varié à mon goût (mangues, yuzu, oranges etc….). 

 

La Free Panda

 

Pour des bières plus classiques, on ajoute des épices, des malts plus aromatiques, ou plus de houblon avec une technique de brassage d’osmose inversée ou de distillation sous vide quand les moyens le permettent. On se retrouve ainsi à voir des rayons entiers dédiés au sans alcool chez nos cavistes, et voir des gens boire du sans alcool par plaisir et non pas par obligation! 

Bien entendu, je vois de là certains puristes commencer à ronchonner sur le corps de la bière dégustée, sa densité, mais la bière sans alcool ne se positionne pas non plus pour les geeks, elle se positionne pour celles et ceux qui veulent un produit de bonne facture et qui remplit sa fonction : pouvoir se sustenter sans risque.

Autrement dit, la bière sans alcool a réussi à se sortir de son image de produit rabat-joie, voire médical en tant que placebo pour alcoolique à un produit aussi bon qu’utile au final pour continuer à évoluer dans sa sociabilisation, mettant au second plan l’alcool, qui, à mesure que l’on vieillit, devient accessoire au profit du goût : boire moins mais meilleur. 

 

 

En conclusion

Cet article n’avait pas vocation à vous lister les bières sans alcool du marché, d’autres le font bien mieux que moi, mais le but était surtout de mettre en exergue le fait que la bière sans alcool d’aujourd’hui est un produit à part entière qui mérite toute son attention. 

Si le sans alcool avait une image péjorative avant la révolution brassicole, nourrie par de nombreux clichés injustes et extrapolés, force est de constater qu’à ce jour, la bière sans alcool est un produit qui sait être bon, décliné dans tous les styles, et qui dispose d’autant d’attention qu’une bière classique sur sa communication et sa fabrication. Si l’alcool reste un élément important de notre société, à travers son histoire, ses rituels, ou encore son importance sociale, il devient toutefois désormais accessoire pour beaucoup de monde. De nos jours, en dehors de problèmes d’addictions bien entendu, l’alcool est surtout un loisir, un plaisir, que ce soit pour se détendre entre amis ou accompagner un plat, il accompagne un moment de détente. L’envie même de boire pour s’enivrer ne se fait plus qu’à de rares occasions, telles que la célébration de quelque chose (un diplôme, un mariage etc…). Pourtant, on constate que le mode de consommation a changé, il se modère un peu plus au profit du goût et de la qualité. 

Bien entendu, et soyons honnêtes, on consomme encore beaucoup d’alcool en France et ailleurs. Les plus jeunes vont s’amuser à boire plus que de raison, et petit à petit se lasser pour boire autrement, sans négliger le plaisir de la consommation. Si, à mon sens, la consommation d’alcool a changée, il n’en est pas moins qu’elle doit être faite avec modération. Si vous buvez tous les jours plusieurs bières, que vous ne pouvez vivre sans boire une ou deux journées d’affilée, alors c’est que vous avez une forme de dépendance qu’il vaut mieux surveiller si vous voulez que la bière reste un plaisir et non pas un besoin. 

C’est en cela que la bière sans alcool parvient, à mon sens, à trouver sa place sur le terrain brassicole car de plus en plus de bière sans alcool ou à faible taux d’alcool sont produites avec un soin particulier sur le goût. Le but est de rendre la bière tout aussi bonne que si elle était à un taux d’alcool classique. Parfois on a envie d’une bière mais pas forcément d’alcool, juste envie d’autre chose qu’un soda ou d’un verre d’eau, et la bière sans alcool peut remplir ce rôle sans pour autant vous enivrer. 

Finalement, personnellement, si la bière n’avait pas d’alcool, je pense que je l’apprécierais sans doute tout autant, si son goût et ses saveurs étaient identiques. Bien sur, on perdrait quelques styles en cours de route à mon grand désarroi, mais je m’aperçois finalement que ce que je recherche dans une bière aujourd’hui ce n’est pas son taux d’alcool mais son goût, et il est vrai que souvent je m’empêche de boire certaines bières car leur taux d’alcool est trop élevé, alors que l’envie de les savourer est présente. Comme quoi, j’ai adopté avec le temps une consommation plus raisonnée qu’il y a une dizaine d’année, et la démocratisation et la qualité des bières sans alcool artisanales vont contribuer, je l’espère, à ce que la consommation reste un plaisir raisonnable qui puisse permettre à tous de profiter d’un bon moment sans jugement et sans prendre de risque. 

 

Greg
Marseillais amateur de bières, je vais vous faire découvrir cette boisson à travers son histoire, des dossiers, de l'actu et enfin des tests de bières diverses et variées!

5 Replies to “L’évolution des mentalités face aux bières sans alcool

  1. J’ai eu l’occasion de goûter la gamme de chez Frog, ca va vraiment dans le bon sens. Il paraît que la gamme sans alcool de Deck&Donohue est également intéressante (pas goûté par contre).

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