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Résultats records de fournisseurs, acteurs brassicoles en souffrance, comment garder le cap?

Cela fait bien 3 ans que j’écris sur les conséquences de la crise actuelle sur des secteurs tels que le BTP, les containers ou le cours des métaux à travers mes différents jobs rédactionnels que j’ai gardés dans la logistique. 

Le résultat est chaque fois le même, une crise qui provoque des hausses tarifaires, des spéculations souvent arrangées, des industriels qui en profitent et font les barbots dans la presse en annonçant des résultats records tandis que leurs clients sont ventre à terre. Bref, un scénario qui se répète et dont les principales victimes restent toujours les mêmes. 

Les récentes annonces de Verallia, grand fabricant de verre, ont fait réagir le secteur brassicole, déjà fortement malmené et cette vantardise maladroite du fabricant a su attiser la colère de très nombreux professionnel.les du secteur. C’est cette dernière polémique qui m’a poussé à rédiger cet article depuis quelques semaines. 

 

Crise sanitaire et Supply chain dans les cordes

2020 est une année charnière, la crise sanitaire liée au COVID-19 a fait des dégâts, à commencer par tout le secteur logistique, qu’on appelle aussi supply chain. C’est un peu de l’arrêt de l’économie de nombreux pays durant des confinements asynchrones qu’est partie tout le déséquilibre logistique qu’on a connu, et donc les nombreuses hausses tarifaires de l’époque. 

Pour vous situer, il faut savoir que plus des 3⁄4 des containers sont fabriqués en Chine, et tout ce que vous consommez, voyage majoritairement dans des containers, et la Chine est considérée comme l’industrie du monde pour résumer la chose. Lorsque les pays se sont réveillés après le confinement, la consommation a repris de plus belle, seul hic, redémarrer des usines prend du temps, et pas tous les pays sont sortis en même temps de leur hibernation forcée. 

La suite est logique, la demande est forte, plus que jamais, et il faut d’abord envoyer les containers bloqués à quai depuis le début de la pandémie (sachant que certains ports et compagnies maritimes ne se sont pas gênés pour facturer les journées de stockage durant le confinement). Une fois les containers envoyés, il faut que ceux-ci reviennent, les containers font donc une rotation. Ils se remplissent par exemple en Chine, sont vidés aux USA puis re-remplis pour aller dans une autre destination. Les containers circulent et aucune pénurie ne se fait sentir en dehors de quelques zones lors de fêtes telles que le Ramadan ou le nouvel an Chinois où la supply chain est un peu bousculée mais gérée dans tous les cas. 

Dans ce cas précis, les containers sont arrivés à destination, mais ne repartent plus. La raison? Officiellement, la crise sanitaire qui a mis à mal les économies et donc les rotations qui devenaient compliquées et provoquaient des congestions sur les ports. Officieusement, les armateurs (compagnies maritimes) se sont plutôt entendus pour centrer les rotations de navires sur des zones précises au détriment d’autres. Pourquoi? Parce que des zones comme l’Europe n’avaient pas les mêmes mesures que les USA par exemple, et que le déconfinement n’a pas eu lieu en même temps. Des ports comme celui de Los Angeles se sont alors retrouvés à déborder de containers vides avec des navires pleins qui pouvaient attendre plusieurs semaines avant d’être déchargés. Les containers se sont retrouvés inégalement répartis tandis que la Chine ne produisait plus beaucoup d’unités neuves. Vous avez donc une demande supérieure à l’offre et les compagnies maritimes ont fait grimper les taux de fret qui ont littéralement décuplé! 

Conséquence directe, des usines à l’arrêt, des pénuries de matières et par corollaire, des augmentations de coût de certaines matières premières comme l’acier, le cuivre ou certains éléments comme les puces électroniques. On a ainsi pu voir les fameuses pénuries de PS5, de cartes graphiques ou encore les retards de productions d’industries comme l’automobile dont certains constructeurs ont carrément décidé de revenir sur des modèles plus “old school” pour perdre le moins d’argent possible. L’augmentation des taux de fret a créé une augmentation d’autres éléments et d’autres ont suivi par pure spéculation aussi, provoquant la colère de nombreux secteurs d’activités. 

Rapidement, les autorités, notamment aux USA, ont mis le holà jugeant que les augmentations tarifaires étaient une sorte d’entente spéculative orchestrée par les armateurs afin d’engendrer de juteux bénéfices. Biden n’y a pas été de main morte sur ses premiers discours en tant que nouveau président, qualifiant limite les armateurs de voleurs et d’escrocs…ambiance.

Des accords ont été trouvés depuis, des armateurs ont su mettre de l’eau dans leur vin, mais aucun n’a admis une quelconque entente, et aucune preuve tangible ne le prouve non plus. Toutefois, les invectives de Biden ont été amplifiées du fait qu’à ce moment là, les armateurs faisaient les beaux dans la presse pour présenter des résultats spectaculaires tandis que leurs propres clients tiraient la langue : conclusion pour eux, les armateurs ont profité de leur situation oligopolistique pour leur faire les poches…. Et quand on voit certaines compagnies maritimes qui se développent à tout va, on comprend les interrogations de certains, mais encore une fois, rien n’est prouvé.

 

 

Poutine envahit l’Ukraine 

Fin 2021, les prédictions de spécialistes sont plutôt positives, le BTP repart à la hausse, les cours de métaux commencent à stagner, certes vers le haut, mais ils ne grimpent plus, quant aux taux de fret, ils baissent enfin! Mais un événement va tout chambouler : la guerre entre la Russie et l’Ukraine. 

Début 2022 les russes surprennent la scène internationale en attaquant de plein fouet l’État Ukrainien, l’un des principaux producteurs de céréales en Europe entre autres. Cette attaque met donc le pays à l’arrêt, et la scène internationale se mobilise et s’insurge contre le géant Slave. Seulement, la Russie a su depuis les dernières décennies, devenir quasi indispensable aux pays autour de lui en les alimentant en énergie (gaz, pétrole, électricité etc…), et quand des sanctions et des embargos pleuvent sur les Russes, Poutine riposte en fermant les robinets, créant donc, non pas des pénuries, mais un vrai dérèglement dans les alimentations énergétiques des pays. 

Comment alors l’énergie a tellement grimpé? Tout simplement parce que l’énergie doit être prise ailleurs, dans des états qui en ont, mais ne peuvent fournir tout le monde correctement, autrement dit, la demande dépasse l’offre et les infrastructures sont lentes à s’adapter, du coup, on pioche l’énergie où il y en a, et celle-ci se vend à prix d’or! Pire encore, les chinois achètent de l’énergie à la Russie, pour la revendre à des taux mirobolants aux autres pays…. Les affaires sont les affaires comme dirait l’autre…

De cette manière, vos factures explosent, et vos fournisseurs d’énergie, bien que dépendant eux aussi de cette crise géopolitique, y vont les deux pieds en avant sans se poser des questions, ne comprenant pas qu’un artisan ne peut pas du tout se permettre de payer une facture qui va quadrupler d’un mois à l’autre. 

Concernant d’autres secteurs, comme le BTP (qui est à l’arrêt à cause de la hausse de certaines matières comme l’acier, l’inox ou le cuivre), ou encore l’agro alimentaire, c’est pareil. Les principaux fournisseurs pour nous, français, étant situés proches de la zone de conflit, il faut s’approvisionner ailleurs, et notre dépendance trouve ainsi ses limites, l’inflation se fait sentir, et nos matières augmentent inexorablement, que ce soit quand vous fabriquez de la bière, ou que vous remplissez votre caddie. 

Concernant la logistique, elle, c’est carrément l’inverse qui se produit en ce moment, la Chine qui produit 2 millions de containers par an, a voulu faire les choses biens en fabriquant 7 millions d’unités en une année pour éviter une nouvelle pénurie…. Mais comme elle a également mis en place une politique drastique de 0 COVID, mettant sa population à genoux, tout comme son économie, elle a payé le prix de son zèle en ayant sa croissance la plus basse depuis 1976. Avec la crise économique (qui est en gros le cumul de la crise sanitaire suivie du conflit géopolitique en Europe de l’Est), plus beaucoup de choses partent de Chine, et les ports de par le monde débordent désormais de containers vides, c’est donc l’inverse de ce qui s’est produit en 2021 ! 

Mais alors voilà, certaines augmentations s’expliquent de manière logique, on est sur une fatalité, c’est indéniable, mais est ce que les augmentations telles que l’on nous les présente sont réellement cohérentes? C’est la question que tout le monde se pose, moi y compris, car si vos coûts augmentent, vous essayez de les répercuter pour ne pas perdre trop de marge et donc de bénéfices, ce qui est logique…. Mais alors pourquoi certaines entreprises réalisent des bénéfices records alors que tout leur secteur est en crise? 

 

 

Des abus?

A qui profite la crise? Cette phrase bien connue est totalement de bon aloi dans les circonstances actuelles et pour cause. On ne compte plus le nombre d’entreprises qui publient des résultats monstrueux dans la presse. Certes, une entreprise qui réalise un résultat positif dans un contexte actuel pourrait s’avérer logique, celle-ci pourrait répercuter une partie de l’inflation subie sur ses clients et réaliser un résultat faiblement positif, surtout si les années précédentes étaient largement au-dessus de 0. Cependant, ces derniers mois, bon nombre d’entreprises ont affiché des résultats records, pire encore, outre le fait que les résultats soient publiés publiquement (chose courante pour les grosses entreprises), celles-ci font le tour de la presse pour se vanter de leurs résultats, au détriment des clients se sentent souvent lésés.

Les premiers à avoir fait une danse de la victoire dans la presse, ce sont les compagnies maritimes, qui ont réalisé des résultats stratosphériques au point où certaines compagnie comme la CMA CGM ont eu tellement d’argent qu’ils achètent à tout va des entreprises de toutes sortes (prises de parts chez Air France, rachat de La Provence, de Colis privé, Gefco et récemment La Méridionale). De là, devant la grogne des clients, certaines entités ont réagi, comme par exemple aux USA, comme je le mentionnais plus haut. En France, les autorités ont convoqué le PDG de la CMA CGM, pour lui tirer les oreilles et lui parler de taxe sur les super profits, un coup d’épée dans l’eau au final pour diverses raisons, qui fera que l’armateur Marseillais ne sera guère inquiété. 

Pourtant, pendant que tout le monde regardait les compagnies maritimes, d’autres entreprises ont su profiter de la crise, au point où en 2021, les compagnies du CAC 40 ont engendré près de 120 milliards de bénéfices, plutôt énorme pour une économie mondiale supposée être au ralenti. Citons entre autres les grosses compagnies pétrolières telles que Total Energie qui ont explosé leurs scores, les grands épiciers comme Métro, les banques, et plus récemment Verallia. 

Ces entreprises sont issues de milieux oligopolistiques, c’est à dire qu’elles ne sont qu’une poignées dans leur secteur, ne laissant guère de choix aux clients, et bien souvent, des ententes sur les prix enfoncent le clou, et bien que cela soit illégal, rien ne prouve lesdites ententes, mais les consommateurs ne sont guères dupes sur les stratégies de ces entreprises.  Le fait d’être en oligopole permet une certaine souplesse sur les prix pratiqués, et donc, indéniablement, à la vue des résultats publiés, la répercussion des hausses tarifaires de divers matières et sources énergétiques semble avoir été plus que profitable aux sociétés en question. 

Certes, l’inflation que nous subissons est réelle, et les raisons sont multiples : déconfinements asynchrones, guerre en Ukraine, relances budgétaires, cours des monnaies en berne, géopolitique tendue, augmentation de l’énergie, loi de l’offre et la demande etc… mais force est de constater que si les résultats affichés sont aussi hauts et que les profits, et les dividendes atteignent des records, c’est que forcément, il y a anguille sous roche mais le prouver est malheureusement très compliqué. .

 

 

La colère du milieu brassicole

Les conséquences sur les consommateurs sont terribles, nous voyons tous l’impact sur notre portefeuille, mais si on s’intéresse au milieu brassicole, le constat est lui aussi amer, et pour cause. 

On ne compte plus ces derniers temps les annonces de fermeture de caves, de bars, de brasseries et même de certains distributeurs, et ce, pour un tas de raisons liées au contexte actuel. Que ce soit la hausse énergétique, les conséquences de la crise sanitaire, les nouveaux entrants sur le marché qui arrivent avec de gros billets (je vous prépare un article sur le sujet d’ailleurs), les raisons sont nombreuses et les craintes se multiplient dans le milieu. 

Certes, le milieu brassicole est dans une nouvelle phase, une phase logique quand on voit comment le marché évolue, mais le nombre de fermetures de brasseries est tout de même inquiétant par rapport aux taux de fermetures habituels, comme le signale très bien Emmanuel Gillard dans ses dernières analyses, le secteur est relativement stable jusqu’à 2020, mais depuis quelques temps, les fermetures se multiplient. 

Dans le milieu, les fermetures sont nombreuses, soit certains acteurs arrêtent avant que les choses s’enveniment et préfèrent limiter les dégâts, soit d’autres ferment après de longs mois de lutte et dans de lourdes difficultés financières. Si les industriels parviennent à garder la tête hors de l’eau, les plus petits, quant à eux, peinent à amortir les hausses des tarifs de matières premières sans devoir les répercuter sur les clients et risquer de les perdre. Bien entendu, le craft a toujours été plus cher que l’industriel, les explications à cela ne manquent pas, mais les industriels qui détiennent quasi 95% peuvent facilement faire en sorte de maintenir leurs tarifs attractifs à contrario des petits. 

De fait, les brasseries artisanales réclament un soutien de leur filière, notamment face à la hausse des coûts, et ce, à travers leurs syndicats respectifs, à savoir le SNBI et Brasseurs de France. Des communiqués sont établis mais leur impact reste moindre, tout au plus, l’état peut intervenir et demander un gel des tarifs, mais ceux-ci resteront sur une tendance haussière qui ne changera pas la donne pour les petits producteurs déjà acculés sous les augmentations. 

 

 

Quelles solutions?

Des solutions, au final, il y en a mais les économies sont faibles selon ce que les brasseries veulent diminuer, et je ne dis pas cela en étant défaitiste mais bel et bien réaliste d’une conjoncture haussière trop violente pour laisser le temps aux petites structures de s’adapter sans impacter leurs finances souvent fragiles. Les fournisseurs de matières premières sont peu nombreux et les prix restent plus élevés qu’à l’accoutumée. De plus, la conjoncture actuelle pousse les consommateurs à freiner les dépenses, ce qui n’arrange rien à l’affaire, et fait donc diminuer les ventes. 

Aujourd’hui on le voit, la situation a poussé de nombreux acteurs brassicoles à modifier leur comportement, et ce, de multiples façons. Ainsi on voit par exemple les fûts passer des sempiternels Keykeg en plastique à des futs Inox suite aux augmentations des fûts plastiques. Certaines brasseries bien portantes ont acheté de nombreux fûts quand d’autres, plus petites, ont décidé de passer à des solutions de consignes extérieures telles que Soo Fut qui se multiplie à travers l’hexagone. 

Pour ce qui est du verre, on voit par exemple de nombreuses brasseries passer à la canette non plus pour des questions marketing mais pour des questions de coûts et de logistique (je le rappelle, la canette est plus légère et coûte donc moins cher en transport, sans parler de sa recyclabilité plus pratique en théorie). Et pour les brasseries qui gardent le verre comme contenant, des consignes commencent à se mettre en place sur les modèles toujours existants de nos voisins belges par exemple. 

Il en va de même pour l’énergie, entre les petites brasseries qui se montent avec dans leur plan des installations moins énergivores ou celles déjà en place qui installent par exemple des panneaux solaires ou la récolte d’eau de pluie, on voit qu’une véritable action se met en place. 

Enfin, rappelons que beaucoup de brasseries ont aussi commencé à créer des mutualisations, que ce soit sur des matières premières ou des réseaux de vente et de promotions pour faire baisser les coûts. Les coopératives se mettent en place et ce, toujours dans l’idée d’optimiser au maximum les coûts de production et de distribution. 

Enfin, pour ce qui est du transport, là aussi impacté par la forte hausse du carburant, les brasseries groupent leurs transports ou optent pour une recentralisation de leurs zones de ventes sur des rayon de kilomètres plus petits (laissant à certains distributeurs le soin de vendre au delà d’une zone prédéfinie). Plusieurs brasseries, par exemple celles situées en centre ville, font appel à des services de transport en vélo également (exemple : Zoumai à Marseille qui livre en triporteur cyclable ou Bulles de Provence à Puyricard, toujours dans la région où je vis). 

Je peux également vous parler des brasseries qui ont décidé de faire leurs recettes avec des ingrédients locaux et en circuits courts pour des raisons d’économie, ou encore celles qui ont décidé d’annuler ou diminuer les déplacements comme les festivals bien trop chronophages et peu rentables au profit de quelques TTO de temps en temps. Pour ce dernier, seules quelques brasseries ayant le vent en poupe peuvent se permettre de faire des tournées, que ce soit accompagnées d’un distributeur ou seules, et bon nombre de brasseries ne se déplacent pas pour un seul bar mais dans l’optique de livrer plusieurs endroits sur leur route pour que le coût du voyage soit minime.

Pour les brasseries, les solutions sont donc là, il y en a, si parfois cela semble apparaître comme des économies de bouts de ficelles, d’autres sont plus conséquentes et, point positif, amènent à repenser parfois le  système pour des optimisation de coûts finalement assez logiques et souvent plus écologiques. Les prix des Keykeg qui montent en flèches poussent au retour de la consigne de fûts inox, chose qui était avant l’adage de très gros distributeurs ou brasseries, maintenant accessibles à tous grâce à des structures privées de location de fûts. 

Les distributeurs, quant à eux, peinent à négocier les achats auprès des brasseries. Les choses étant ce qu’elles sont, il est difficile de la jouer comme les grosses centrales d’achat, surtout quand on sait que beaucoup de distributeurs sont avant tout très au courant des tendances du secteur. On voit certains distributeurs viser un champ d’action plus large comme les GMS avec des références ou des brasseries plus adaptées au grand public néophyte. D’autres encore modifient leurs conditions de franco afin de pousser à la commande, ou engagent des réductions commerciales à partir d’un certain montant par exemple. Enfin, les distributeurs se sont aussi recentrés sur des brasseries plus locales, ou localisées sur la zone UE, ainsi les bières américaines ou anglaises se font soit plus rares au catalogue, soit ont des prix d’achat très élevés et peinent à trouver caviste à leur frigo. 

On le voit, c’est un secteur tout entier qui doit s’adapter bon gré, mal gré, à la conjoncture actuelle et il en va de même pour les cavistes dont je fais partie.

 

L’équipe de Soofut

 

Et en tant que bar / cave qu’est ce qui a changé?

Sur cette partie, j’ai un avantage : je suis désormais du métier, de fait, je subis de plein fouet les adaptations de mon business face à la conjoncture. Les exemples et remarques concernant mon expérience personnelle peuvent varier d’une entreprise à l’autre bien entendu. 

Je parlais plus haut de la tendance attentiste des consommateurs plus enclins à restreindre les dépenses loisirs au profit des dépenses liées à la vie quotidienne, ce n’est pas quelque chose de drôle et je pense que nous le vivons pour la plupart assez difficilement. Les pourcentages d’augmentation des produits de première nécessité, l’énergie, l’essence, le refroidissement des banques pour donner des prêts pour ne citer qu’eux, forcent les gens à consacrer un budget loisir plus petit et pour cela, il faut savoir attirer le client. 

Dans mon établissement, nous avons par exemple multiplié les événements. Parfois cela donne de belles surprises, et parfois cela n’attire pas la foule escomptée. Les événements, la publicité, les réseaux sociaux, sont aujourd’hui essentiels pour que les gens puissent venir surtout quand son établissement est jeune. Il faut donc trouver une sorte de carotte qui permettra au client de venir. Le COVID avait déjà engendré une tendance casanière qui s’était estompée durant un court laps de temps avant de reprendre de plus belle, non pas pour des raisons sanitaires mais désormais économiques. Avant, une cave pouvait vivre assez facilement de sa clientèle, aujourd’hui la tendance a changée, les brasseries se tournent sur les petites, moyennes et grandes surfaces, les supermarchés lorgnent sur le craft, les nouveaux entrants fortunés jouent des coudes, bref, il faut dorénavant se montrer au maximum et c’est un exercice extrêmement chronophage et épuisant.

Si les clients prennent moins de vente à emporter, ou privilégient d’autres zones d’achalandises comme les GMS, ils favorisent néanmoins la consommation sur place, et cela nous a poussé à passer en tout frigo au sein de l’établissement, ce qui est énergivore, mais permet aussi de multiplier l’offre en sus des pressions actuelles, c’est un investissement coûteux mais utile. Nous l’avons expérimenté, des étagères à température ambiante ça ne se vide plus comme avant malheureusement, les gens préfèrent consommer sur place et, il faut le souligner, la tendance à la diminution de l’alcool joue aussi, il faut donc s’y adapter (et consommer mieux mais moins est une bonne chose, je précise). 

Pour ce qui des produits en eux-même, nous avons dû nous aussi nous adapter. Exit les références américaines, brésiliennes ou canadiennes (pour ne citer qu’elles) dont les coûts de fûts amènent à une pinte flirtant au-delà des 10€. A Marseille, par exemple, les gens ne boivent pas des pintes aussi chères, il faut aussi s’adapter à son marché et aux niveaux de vie des gens. Nous prenons toujours des références geeks mais nous en avons diminué les volumes et rognons sur les prix de vente pour rester attractifs. 

Dans notre business model, nous essayons d’avoir un panel de bières qui change régulièrement, et pour cela, nous avons aussi privilégié les achats en direct, ou les mutualisations de commande avec des confrères auprès de distributeurs. En résumé, on prend moins de références chères, on privilégie les achats en direct, ou on mutualise quand cela est possible, avec nos collègues. L’idée étant d’adapter les hausses tarifaires de nos brasseries en impactant au minimum le panier moyen du client. 

C’est au final assez sportif de garder une qualité identique, tout en modifiant son offre pour qu’elle ne soit pas trop coûteuse. Il faut également savoir rogner les prix de vente, se borner à un seul coefficient peut s’avérer compliqué et entraîner des stocks qui stagnent faute de trouver la clientèle adaptée. Il faut parfois se dire que l’on prend une référence sympa, qui pourra se vendre, et lui attribuer un prix de vente au minimum de marge possible, plutôt que rester bloqué sur un coefficient qui fera que ce produit, tout aussi bien soit il, sera trop onéreux pour votre clientèle. Il est compliqué de négocier les tarifs avec les brasseries, personnellement je ne le fais pas, je m’adapte aux tarifs car je sais que les brasseries elles-mêmes ont amorties un maximum de choses pour ne pas trop charger la mule. Si les brasseries jouent le jeu et tentent d’impacter le moins possible leurs clients, à nous, cavistes, de faire de même pour le client final, même si cela signifie une baisse de chiffre qu’il faudra rattraper sur du volume de vente, ce qui, là aussi, n’est pas une mince affaire. 

Enfin, en dehors du comportement client, mais aussi des achats, il y a les coûts de fonctionnement qui, là aussi, ont augmenté. En terme d’énergie, tout se joue sur des petits gestes comme la baisse de température du chauffage ou de la climatisation, la hausse de quelques degrés du frigo (en faisant attention à ne pas altérer les produits évidemment), débrancher un maximum d’appareils le soir en partant, ou même parfois modifier ses plages horaires et ne privilégier que celles qui voient défiler du monde. 

Mon cas est certes, précis et très personnel, mais il reflète, après de multiples discussions avec mes confrères, d’un phénomène bien réel, à savoir, le changement de comportement client, le besoin de s’adapter en proposant plus de références en frigo ou carrément une offre bar que certaines caves ont mis en place, une optimisation des achats de produits auprès des fournisseurs (achats en direct, mutualisation chez les distributeurs etc…) et enfin réduction en interne des coûts de l’énergie en débranchant des appareils ou en diminuant leur consommation. 

 

 

Conclusion 

Cette crise financière n’aura fait de cadeau à personne dans le milieu brassicole. Les plus gros poissons, que ce soit des vieux de la veille ou des nouveaux entrants, peuvent tenir sans trop de difficultés, mais, avec plus de 2600 brasseries dans le pays, plus des ⅔ souffrent péniblement de la crise. Les distributeurs, les cavistes et les bars ne sont pas en reste et on ne compte plus les annonces de fermetures ces derniers mois. 

Cette conjoncture a toutefois permis à certains projets de faire surface, à multiplier les actions “vertes” sur le plan énergétique ou encore à remettre au goût du jour certains modes de consommation tels que la consigne (bouteilles ou fûts). Les unions forcées par la crise ont malgré tout permis de créer de belles synergie et une co-fraternité entre brasserie a vu le jour et je ne compte plus les posts sur des groupes privés de professionnels où les gens jouent le jeu et s’entraide régulièrement. 

Bien entendu, les gros fournisseurs de matières premières ne se gênent pas pour se gaver sur le dos de leurs clients, et la colère du secteur est totalement légitime, toutefois, l’avidité et la cupidité de ces entreprises vont à terme sans doute entraîner un rejet de la part de leurs clients qui vont alors se tourner vers d’autres entreprises plus petites mais jugées plus honnêtes ou qui jouent sur des valeurs plus éthiques. Ces gros fournisseurs vont alors passer de bénéfices juteux à une diminution de leur profit au bénéfice de concurrents qui auront vu arriver une vague de nouveaux clients désabusés par les entreprises qui roulent des mécaniques avec leurs chiffres dans la presse spécialisée pendant que leurs clients sont genoux à terre. 

Il faut donc voir un certain positivisme tout d’abord sur ce qui se passe car le marché se restructure totalement, tout du moins face à cette crise. Nous verrons dans d’autres articles que le secteur change aussi pour de nombreuses autres raisons, comme l’arrivée de nouvelles structures aux portefeuilles bien remplis qui cassent les codes ou juste les prix. 

Enfin, être positif ne veut pas dire être naïf et penser que tout va aller mieux sous peu, malheureusement si les choses se poursuivent, beaucoup ne tiendront pas le choc et devront s’arrêter ou changer de stratégie. Si je parlais des caves en difficultés, les sites de vente en ligne ont eux aussi pris un coup dans l’aile avec par exemple Saveur Bière qui s’est littéralement tourné sur le perfect draft uniquement. On constate donc une toute nouvelle structuration du marché et la tendance actuelle pousse vers la sortie beaucoup d’acteurs du milieu dont certains historiques. 

Alors oui, la crise profite en effet à de grosses entreprises et ce, de manière injuste, mais heureusement, le secteur parvient à s’adapter et sauver un peu les meubles même si des pertes seront sans doute encore à prévoir. Il serait également candide de penser que le karma fera couler ces méchants fournisseurs cupides, ils sont bien trop puissants pour couler (mais nous ne sommes à l’abri de rien évidemment), toutefois, comme je le disais plus haut, de nouvelles entreprises vont sans doute voir le jour pour concurrencer ces fournisseurs “cancélés” par leurs clients, et jouer une carte plus morale et éthique pour fidéliser et s’accaparer un maximum de contacts des portefeuilles clientèle issus de leurs concurrents historiques. 

Pour terminer cet énième article, je vous dirais que si les choses restent compliquées, je vois tous les jours des brasseries, caves, bars, et même distributeur, se serrer les coudes et essayer de sauver leur secteur encore jeune et fragile face aux industriels surpuissants dont les augmentations conjoncturelles ne font que légèrement vaciller leurs chiffres. 

Alors même si c’est un peu bateau de dire cela, camarades du secteur brassicole, continuez à montrer votre force à travers votre solidarité et vos multiples actions, même si les choses sont compliquées, je suis persuadé que cette tendance ne perdurera pas dans le temps et va au minimum stagner dans un premier temps, puis commencer doucement à baisser pour revenir, comme ce fut le cas du transport, à des coûts plus raisonnables qui permettent de relancer correctement les machines.

 

Quelques sources pour aller plus loin : 

https://www.mon-viti.com/articles/vie-de-filiere/les-verriers-tournent-plein-regime-et-augmentent-encore-leurs-prix 

https://www.mon-viti.com/filinfo/vie-de-filiere/le-verrier-verallia-annonce-un-resultat-net-en-hausse-de-43-en-2022?fbclid=IwAR1CMvAtyIFPXYLspVa5cSzB2rZHXZJmZ7HKZkwi72Edwaji1Wkoa8S3VNE 

https://www.capital.fr/entreprises-marches/cac-40-milliardaires-inflation-qui-a-profite-de-la-crise-du-covid-19-1412224 

https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/economie-qui-a-profite-du-covid-19_4849549.html 

https://www.noovo.info/nouvelle/profits-records-les-grands-epiciers-se-defendent.html 

https://www.marianne.net/economie/economie-francaise/profits-records-de-total-et-de-la-bnp-le-capitalisme-ne-tourne-pas-rond-meme-ses-defenseurs-le-disent 

https://twitter.com/rmglzz/status/1633559180878524419 

https://www.breizh-info.com/2023/03/08/216480/les-brasseries-artisanales-sont-au-bord-du-gouffre-lalerte-du-syndicat-national-des-brasseries-independantes/ 

https://www.container-z.com/fr/actualites 

https://www.container-z.com/fr/blog-1 

https://biere-actu.fr/verallia-annonce-un-resultat-net-en-hausse-de-43-en-2022/ 

https://biere-actu.fr/verallia-annonce-un-resultat-net-en-hausse-de-43-en-2022/ 

https://biere-actu.fr/debut-2020-la-canette-progresse/ 

https://biere-actu.fr/bout-a-bout-change-de-braquet-et-devient-ouest-consigne/ 

 

Greg
Marseillais amateur de bières, je vais vous faire découvrir cette boisson à travers son histoire, des dossiers, de l'actu et enfin des tests de bières diverses et variées!

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