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Le caviste doit-il avoir peur des supermarchés?

J’avais déjà songé à aborder ce sujet qui alimente bon nombre de discussions et c’est sur un groupe Facebook dont je fait partie, qui réunit les cavistes bières francophones que j’ai vu un post qui m’a interpellé. 

Sur ce post, sans citer de noms bien entendu, on y voit une caviste se plaindre, à juste titre, de voir dans le rayon d’une grosse enseigne GMS des références crafts qui ne sont pas censées être vendues en supermarché. Déjà parce que ces références sont surtout destinées aux cavistes, mais aussi et surtout que les brasseries elles-mêmes ne sont pas au courant, et beaucoup ne souhaitent pas être vendues en GMS. 

Alors du coup, la question que je me suis posée c’est : Est ce que l’on peut être brasseur et vendre en GMS sans se tirer une balle dans le pied? Et ensuite, est-ce que les GMS sont une réelle menace pour les cavistes?  Et bien vous allez voir que ce questionnement mérite réflexion, et tout comme la bière à façon, il a son lot de pour et de contre, mais surtout, les choses doivent se faire intelligemment. Cet article est une analyse très personnelle sur laquelle j’ai eu envie de réagir car je partage l’inquiétude des cavistes sur le sujet. 

Vendre du craft en supermarché intelligemment

Avant tout, n’oublions pas qu’une brasserie est une entreprise, et comme toute entreprise, pour survivre il faut gagner de l’argent, et se payer également. Du coup, chaque brasserie a sa propre stratégie. Celles qui sont axées sur un territoire local, celles qui sont créées pour être vendues dans tous les cavistes du pays, celles qui veulent s’industrialiser pour se diffuser partout etc. En gros, tout dépend de la logique de votre entreprise, mais si on veut vendre en GMS, il faut le faire intelligemment et ça, beaucoup ne l’ont pas percuté comme il faut.

Il y a pour moi deux manières de procéder qu’on va aborder. Se consacrer entièrement aux GMS ou en partie. 

Si l’on veut faire totalement du GMS, il faut se dire que vos bières ne seront quasiment plus proposées par des petits cavistes et des bars crafts. Vous aurez tout au plus des chaînes de cavistes comme Nicolas ou V&B, et bien entendu tout ce qui est GMS. Les petits cavistes refusent de vendre vos bières pour une raison simple, leurs tarifs seront plus élevés que les concurrents plus gros, donc pourquoi s’ennuyer à aller acheter des bières sur lesquelles on ne marge pas, qu’on trouve partout et qui sont facilement remplaçables par des brasseries plus petites qui peuvent en plus s’avérer meilleures?  C’est un peu pour ça que les bières belges se font rare chez les cavistes, car leurs bières sont largement diffusées à travers les grandes chaînes de distribution.

Si l’on veut vendre partiellement aux GMS il faut à ce moment-là diviser sa production en deux parties. Une base GMS qui va distribuer toute la gamme classique, c’est à dire blonde, blanche, ambrée et brune (+ quelques variantes éventuelles). Et une base caviste qui va ici proposer des bières plus abouties, vieillies, recherchées etc… ainsi vous pouvez cohabiter sur les deux terrains, sans porter préjudice à votre image et vos clients. 

Un exemple sur ce point c’est Gallia. Je connais Gallia depuis ses débuts, elle peut être critiquée parce que Heineken est désormais dans le capital, mais elle n’a pourtant jamais changé sa ligne de conduite à savoir faire prospérer son entreprise, et ensuite garder sa créativité. On retrouve ainsi Gallia dans beaucoup de GMS, des brassins très classiques, qu’on ne retrouve pas ou quasiment plus chez les cavistes, par contre, on retrouve en cave des bières travaillées, vieillies en fûts, en amphores ou autre dont même l’étiquette ne fait pas penser à Gallia au premier regard. Je prends cet exemple car on a le cas typique d’une brasserie qui a su prospérer par rapport à ses objectifs initiaux, mais qui a su aussi agir avec intelligence sur sa manière de se faire distribuer. En gros, même si beaucoup de puristes, de beer snobs, ont crié au scandale, les sceptiques, eux, ont pu retrouver leurs petits en découvrant que la brasserie avait plus de moyens certes, mais qu’elle gardait son esprit créatif lui permettant d’aller encore vers des cavistes en mal de bières originales. Je précise que je n’ai aucun sponsoring de Gallia pour dire cela, je vois venir certaines personnes, mais c’est pour moi un exemple des plus concrets d’une stratégie que j’estime bien rodée sur le plan économique et marketing. 

Donc, pour résumer, soit on va à fond sur le GMS, soit on y va en partie, et à ce jour, beaucoup de brasseries locales possèdent des stands de leurs gammes classiques sur des rayonnages de supermarchés locaux. Si le chef de rayon a de la marge de manœuvre, il choisira forcément quelques locaux qui le veulent bien, mais vous allez voir que ce n’est pas toujours évident.

Quand les supermarchés et leurs alliés veulent plomber le petit caviste

Il ne faut pas se leurrer, si la bière artisanale est peu touchée encore par les GMS, elles ne dorment pas pour autant. Le but des GMS est de sans cesse proposer tout ce qui peut être possible chez eux, de l’alimentaire (forcément), à l’électroménager, en passant par la banque, l’assurance, la mutuelle, la location de voiture et j’en passe. 

Alors forcément, avec l’arrivée du craft, les rayons industriels ont commencé à laisser un peu de place pour quelques références que j’appellerais semi-craft (des bières rachetées tout ou partie par des grands groupes) comme Lagunitas ou encore Gallia, autrement dit des brasseries qui bénéficient du réseau initial de leur bienfaiteur. Cependant, on retrouve dans ces rayons quelques vraies locales artisanales, sans grand groupe derrière eux, mais elles sont souvent en faibles quantités car elles ont un volume de production plus faible, et la démarche se fait soit par le chef de produit un peu zélé ou amateur de craft, soit le brasseur qui fait un peu de démarche en ce sens. 

Sur ce point, aucun souci à mes yeux, n’importe quelle brasserie est libre d’étendre sa gamme aux GMS, et comme on le disait plus haut, le faire intelligemment permet de se diffuser sur tous les réseaux possibles. Pourtant il y a plusieurs éléments qui démontrent que les GMS veulent devenir cavistes bières, et pas qu’un peu, en détruisant tout bonnement le caviste. 

J’ai pour cela trouvé 4 manières de faire qui existent et qui sont encore peu répandues mais dont il faut rester vigilant.

La première chose c’est de proposer, comme un traiteur, de la bière faite sur place. Une grosse enseigne a essayé cela, mais l’idée ne s’est pas encore développée, j’ai l’impression. Alors du coup craft ou pas craft? Sur la définition oui, c’est fait sur place avec le matériel sur place, et le brasseur est un vrai brasseur avec de l’expérience, mais est-ce que ça correspond au code éthique réel du milieu craft? Pas forcément mais l’idée n’est pas mauvaise au final, le supermarché propose son produit comme le fait son rayon pâtisserie, traiteur, sushis et j’en passe. Alors oui, le modèle est standardisé, le matériel neuf, il y a les moyens, mais l’avantage c’est que cette bière ne se vendra que sur place et pas chez le caviste, donc au final, ce n’est pas une réelle menace en soi pour le caviste, un peu plus pour le brasseur local en revanche. 

La seconde action c’est posséder une brasserie ou une chaîne de brasserie, et là, un seul exemple me vient en tête, mais il doit en exister ailleurs dans le paysage du GMS mondial. Je parle ici de 3 Brasseurs que vous devez sans doute tous connaître au moins de nom. C’est une enseigne de brew pub / restaurant qui est née en 1986 et dont je vous parlerais un jour plus en détail dans un dossier qui leur sera consacré (je fais une série sur les gros industriels et les semi-industriels). Le concept est simple, un brasseur par établissement, un ensemble de bières sur tout le réseau mais brassées sur place (bien que je pense que selon les volumes il y a des échanges de palettes qui s’opèrent un peu), et un brassin par établissement au choix du brasseur avec une vente sur place des bouteilles et goodies avec une partie bar et restauration. Le concept a cartonné, se voyant propulsé aux DOM TOM puis au Canada, il faut dire que la formule séduit beaucoup, et que la nourriture, sans être un Michelin, est correcte. Tant est si bien que la famille Mulliez, celle qui est derrière Auchan, Cabesto, Decathlon, Boulanger, Norauto, Flunch, Kiabi ou encore Cultura, va en prendre possession en 2002 pour élargir le champ d’action et ainsi pouvoir proposer dans ses rayons Auchan, des bières 3 brasseurs… Plutôt futé non? Ca reste un peu craft sur le principe, c’est inédit, pas grand monde sait que Mulliez possède la chaîne de brewpub, et ca ne concurrence pas le caviste, mais là encore le brasseur y voit un concurrent, bien qu’un poil différent aussi car on trouve les bières 3 brasseurs uniquement chez Auchan ou dans les restaurants. D’ailleurs le 3 brasseurs de Marseille a sa brasseuse qui fait partie des Pink Boots pour la petite anecdote. 

Mais alors du coup, après ces 2 éléments, est-ce que le caviste est vraiment menacé? Et bien oui, mais par les deux méthodes qui suivent car si les 2 premières sont plutôt une source de menace potentielle pour une brasserie artisanale (et encore que…), les suivantes sont plus difficiles pour un caviste….

La troisième méthode consiste donc à recréer en rayon un véritable espace cave à bière avec de nombreuses références, parfois identiques au caviste le plus proche, voire pire, créer une cave à bière indépendante de l’enseigne et discrète qui se fait passer pour une cave indépendante. L’enseigne GMS se fournit en direct chez les brasseries qui veulent un espace chez eux, et avec 2000 brasseries elles trouvent toujours une bonne flopée de brasseurs qui sont enclins à vendre là bas, intelligemment ou pas d’ailleurs. Du coup notre petit caviste fait doublon, mais il peut s’en sortir en proposant des références spéciales caves par les brasseries qui vendent donc en GMS de manière sensée et intelligentes à mes yeux, et aussi en proposant des bières et brasseries françaises ou étrangères qui refusent de vendre en GMS, uniquement chez des petits commerçants (ou en ligne parfois). Pourtant, un autre ennemi entre en jeu : le distributeur !

Alors 4ème et dernière méthode, le distributeur qui va littéralement prendre tout le monde de court, et court-circuiter le circuit de manière peu scrupuleuse. Je ne parle pas ici d’un distributeur un peu feignant et accro à Untappd, car là encore ils ne sont pas mauvais, ils se privent simplement de potentiels chiffres d’affaire et d’exclusivités, non là on parle de coup très bas, et donc d’un distributeur qui n’a aucune éthique du milieu où il officie. 

Ce distributeur, et on l’a vu tout récemment, va en gros acheter des références crafts en direct chez tout un tas de brasseries, puis les distribuer sans vergogne entre cavistes et GMS alors que la plupart des brasseries qu’il a en catalogue, ne veulent surtout pas être en GMS et pourtant elles y sont! Du coup, on se retrouve avec un rayon bière étoffé de belles bouteilles, visibles en principe chez le caviste du coin, et qui sont là à la portée de tous sans l’accord des brasseurs eux-mêmes. C’est le souci que vivent certains cavistes en ce moment même, ils se retrouvent ultra concurrencés par un de leur fournisseur, qui vend chez les GMS… mais pourtant même si c’est quelque chose de mauvais, vous allez voir que la menace n’est pas si réelle…pour le moment.

Une réelle menace?

Bien sûr, il y a une menace de concurrence, c’est évident, mais est-ce que tout cela n’est pas un coup d’épée dans l’eau? Après tout, peu de brasseries manquent d’éthique sur le milieu où elles officient, la bière reste encore fraternelle de nos jours, peu se tirent dans les pattes même si on trouve toujours notre lot de brasseurs je sais tout, condescendants ou qui font de l’entre soi parce qu’ils estiment avoir le bénéfice de l’ancienneté par exemple, mais sur plus de 2000 brasseries, elles ne représentent qu’une goutte d’eau dans un océan houblonné. 

De fait, ce souci de l’éthique et cette envie de se développer intelligemment fait qu’on trouvera rarement une bière vieillie en fut à 15 degrès en GMS pour 15€ la quille, car le consommateur ne va pas se ruer sur ce produit, le consommateur GMS veut du simple, du basique et du pas cher. Alors bien sur, on peut retrouver du craft à façon fait pour une enseigne comme avec Rabourdin pour Monoprix (qui a un rayon craft très fourni mais peu menaçant), mais les références cavistes, qu’elles soit simples et locales, ou moins locales mais très complexes, ne se retrouveront pas en rayon, et pourtant, le distributeur dont nous parlions qui va à l’encontre des brasseurs eux-mêmes est le dernier des imbécile et il s’est tout bonnement grillé. 

Finalement, ce distributeur est pour moi aussi bête que les brasseurs qui créent une bière beauf et sexistes sans intérêt et qui espèrent vendre en masse car le jeu de mot ne fait rire qu’eux. Une fois démasqué, ce distributeur va se voir refuser les ventes par les meilleures brasseries de son catalogue qui refusaient le GMS, se faire rayer de tous les cavistes du pays qui verront en lui un traître et un vendu malhonnête et enfin sa réputation sera tellement entachée qu’après s’être tiré une balle dans le pied, je peux me tromper, mais connaissant ce milieu depuis dix ans, c’est ainsi que je suppose que les choses finiront par se conclure pour lui.

Maintenant, attention, quand je parle de « ce distributeur » je n’en vise pas un en particulier, on sait que certains filoutent avec leurs engagements, mais d’autres sont très honnêtes et se font berner. J’ai notamment lu le cas de distributeurs qui se font acheter des références par des sociétés classiques, qui s’avèrent en fait être des enseignes GMS derrière, tirant les ficelles et qui passent par cette société écran pour ensuite distribuer les références dans ses magasins. Là le distributeur n’a rien à voir, il se fait lui même avoir par la ruse d’une enseigne GMS.

En conclusion

Alors menace ou pas? Je pense que c’est angoissant et problématique pour un caviste de découvrir ses références en GMS comme ce fut le cas pour notre camarade il y a peu dans une grande enseigne. Cependant, les caves à vins sont toujours là et proposent des références non vendues en GMS pour la majorité. Le client ne peut pas aller déguster une bonne bière sur place, voir un TTO, ou avoir les conseils avisés d’un zythologue qui le guidera sans ses choix, la partie conseil du sommelier est inexistante en GMS. De plus, le distributeur en question va disparaître ou tout du moins ses références car les brasseries sont contre cette vente en GMS, et j’espère que les contrats sont ou seront clairs sur ce point en cas de vente. 

Les GMS ont atteint beaucoup de commerces, mais il en reste tout de même beaucoup, et avec la crise sanitaire en cours au moment ou j’écris ces lignes, vu qu’ils se sont relativement bien nourris de notre consommation de confinés pendant que les plus petits étaient fermés, le français veut aider ses petits commerçants, de plus en plus il veut un circuit court, éviter au maximum les grosses enseignes du e-commerce, ou encore fabriquer lui même certaines choses comme son pain, sa bière, ou du bricolage simplement.  Le caviste bière a encore de beaux jours devant lui, cependant sa vraie menace vient des cavistes qui font partie d’un grand groupe. 

Les Nicolas se développent sur le craft, les V&B et les My Beers se multiplient, et bien que ce ne soit pas de mauvais bougres du tout, il faut à ce moment là agir brillamment en évitant les doublons pour ainsi créer une complémentarité avec ses concurrents, et aussi trouver de quoi animer son réseau et ses clients pour attirer le monde par divers moyens. L’avantage de l’indépendance c’est qu’on peut faire et proposer ce que l’on veut, aucun cahier des charges précis ne nous impose quoi que ce soit, de fait, si on veut proposer une brasserie, on le fait, soit en direct, soit pas un intermédiaire, mais on peut le faire sans passer par un conseil de cols blancs. Les grosses chaînes, elles, bien que possédant une belle gamme de produits, n’ont pas la flexibilité d’un indépendant, et réagissent très lentement, suffisamment pour que la concurrence devienne, comme je le disais, plutôt une sorte de complémentarité sans pour autant virer dans la fraternité. Attention toutefois, je parle ici de chaînes que je qualifie d’indépendantes, c’est à dire sans GMS derrière car certaines enseignes GMS ont créé des caves discrètement et elles appartiennent à de très grands groupes du secteur, ces types de caves sont plus à se méfier car elles semblent être dans une démarche, je pense, de vouloir écraser tout le monde, plutôt que de cohabiter. 

Il n’est pas tout rose d’être caviste alors que la crise sanitaire perdure et que la concurrence des GMS et des chaînes se multiplie, pourtant, croyez-moi, vous avez encore de beaux jours devant vous amis cavistes, juste évitez de vous tirer dans les pattes comme je l’ai vu faire sur des forums ou des villes, collaborez plutôt que vous battre, vos clients qui viennent le lundi chez vous, peuvent aller chez votre confrère de l’autre quartier le jeudi pour compléter ses dégustations. 

Enfin, dernier point, étant donné que le marché de la bière est relativement volatile, et donc peu organisé malgré le travail d’associations telles que le SNBI. Il faut également que la vigilance soit de mise aussi du côté des brasseurs afin de surveiller chez qui ils revendent leurs bouteilles, mais aussi les distributeurs eux mêmes et de bonne foi, qui doivent maintenant vérifier que leur client n’est pas une enseigne GMS qui risque du coup de les mettre en porte-à-faux derrière.

En conclusion les amis, soyez vigilants et à l’affût car le craft va attirer de plus en plus de gens peu scrupuleux et mal intentionnés, avec un marché en pleine expansion, il faut s’y attendre alors comme on dit à Marseille : Méfi! 

 

Greg
Marseillais amateur de bières, je vais vous faire découvrir cette boisson à travers son histoire, des dossiers, de l'actu et enfin des tests de bières diverses et variées!

5 Replies to “Le caviste doit-il avoir peur des supermarchés?

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